La planification (tombée dans un quasi-oubli à la suite de la lente érosion du pouvoir central) est relancée avec pour objectif la redistribution d'une partie des richesses des régions fortes, en vue de développer des microzones de polarisation, qui auront l'agrément des sociétés multinationales. À qui cela profite-t-il ? À la façade maritime, siège d'industries nouvelles (nucléaires, maritimes) et zone de stockage ouverte sur le monde. Bordeaux, Bayonne, Nantes-Saint-Nazaire, Brest décollent alors. En même temps, le centre de la France, abandonné de tous, se dépeuple complètement : la vie sociale et culturelle y disparaît.

Le développement des microzones est spectaculaire et attire de plus en plus les innovateurs de toutes sortes. Les régions riches en prennent ombrage. Ne vont-elles pas perdre à leur propre jeu ? Elles essaient alors de freiner le mouvement (qu'elles ont elles-mêmes amorcé), mais trouvent en face d'elles des partenaires (entreprises, municipalités, innovateurs) décidés et organisés, qui ont tiré toutes les leçons de la sclérose à laquelle a conduit l'industrialisation à outrance. Que peut faire alors l'État ? Quel régulateur peut-il introduire ? Les chercheurs de l'Otam n'ont pas répondu.

Verra-t-on la France aux frontières, puis l'éclatement national ? Les auteurs du Scénario de l'inacceptable avaient-ils raison ? Quatre ans après cette tentative d'analyse d'un futur possible, qu'en est-il des conclusions auxquelles on avait abouti ?

Certains des éléments de l'évolution économico-sociale confirment le jugement des auteurs du Scénario, d'autres, au contraire, jouent dans le sens inverse.

Confirmations

Pour les chercheurs de l'Otam, le scénario se déroule effectivement sous nos yeux, mais les événements ne se réalisent ni dans l'ordre ni à la vitesse prévus.

La régionalisation est effectivement intervenue en 1974, avec un léger retard par rapport aux prévisions. Une régionalisation timide. L'essentiel des pouvoirs est encore détenu par le pouvoir central (par l'intermédiaire des préfets), et les conseils régionaux gèrent des budgets de misère. Il n'empêche que le simple fait que la régionalisation existe sera un révélateur de la liberté de manœuvre des différentes régions.

Les régions déjà fortes seront en effet tentées de prélever des impôts nouveaux (c'est-à-dire de se doter de nouveaux instruments de financement). Le pouvoir d'achat de leurs contribuables, déjà supérieur à la moyenne, le leur permettra. Par contre, les régions pauvres hésiteront : les sommes ainsi recueillies seront en toute hypothèse peu élevées, du fait de la faible densité de leur population.

Pour l'Otam, le Nord, la Lorraine, Rhône-Alpes ont démarré (ainsi que la Bretagne, parce qu'elle est assistée) et les déséquilibres entre régions ne cessent de s'accentuer. La concurrence de Lyon avec Paris se manifeste déjà, avec la création, unique en France, du quartier d'affaires de la Part-Dieu. Il est donc inévitable que l'on voie apparaître tôt ou tard la France aux frontières tant redoutée.

Pour les auteurs du Scénario, les déterminismes (exode rural, industrialisation, urbanisation, concentration des outils de production, etc.) sont trop puissants pour qu'une politique volontariste puisse bouleverser complètement les données ;

– des faits nouveaux d'origine extérieure peuvent modifier les prévisions. La crise des années 1990-2000 risque, en particulier, d'avoir lieu plus tôt que prévu, du fait de la redistribution des cartes économiques à l'échelle mondiale. En effet, la rareté – et le coût élevé – des matières premières peuvent bouleverser le monde industriel occidental. Les efforts de productivité l'emporteront désormais, en France, sur l'extension des capacités de production (dont profiteront au contraire les pays en voie de développement).

Il faudra donc s'attendre, entre autres, au renvoi chez eux des ouvriers étrangers peu qualifiés, à une forte hausse des bas salaires d'ouvriers français, au glissement progressif des OS vers une plus grande qualification. Toutefois, dans le tertiaire, peu de changements. D'où la frustration, puis la révolte des cols blancs et du petit personnel d'encadrement (la grève des banques du mois de mars 1974 en apporte la preuve), alors que les cols bleus seront devenus les nouveaux riches du monde économique. L'explosion des années 1990 peut donc se produire plus tôt que prévu, à travers une lutte des classes dont les adversaires ne seront pas nécessairement ceux qu'avait prévus Marx.

Démentis

Pour la Délégation à l'aménagement du territoire, au contraire, le Scénario de l'inacceptable ne se produira pas. Et ceci essentiellement pour deux raisons : la stratégie des groupes multinationaux a changé plus vite que prévu, et la politique volontariste du gouvernement est en train de porter ses fruits ;