Au cours d'un congrès d'anthropologie tenu à Chicago pendant l'été 1973, un psychologue américain, le professeur Roger S. Fouts, a fait une déclaration inattendue : parce qu'il avait refusé de l'emmener avec lui au congrès, Washoe, chimpanzé femelle, l'avait traité de « sale type » (exactement : « sale Roger »). Pour un public non averti, de telles déclarations risquent de susciter la défiance ; on peut les croire tirées d'un feuilleton télévisé où l'on voit des animaux participer, de manière parfaitement aberrante, à d'incroyables aventures humaines – agissant ainsi en désaccord complet avec la réalité biologique.

Washoe n'est pas une vedette de cinéma, mais l'élève de psychologues américains qui ont réalisé le vieux rêve des hommes : faire parler un animal, non par un langage articulé, il est vrai, mais par symboles semblables à nos mots.

Directement

Jusqu'aux environs des années 60, toutes les tentatives faites dans ce sens avaient échoué. Les chimpanzés soumis à l'expérimentation comprenaient les mots enseignés et ils en retenaient bien la signification, mais ils se montraient absolument incapables de jamais en dire un à leur tour. En 1966, un couple de chercheurs américains, Allen et Béatrice Gardner, élevaient un chimpanzé chez eux et parvenaient à lui enseigner l'alphabet des sourds-muets américains. Pour la première fois, un animal (c'était Washoe) pouvait communiquer directement avec l'homme, et ce au moyen de phrases complexes.

Au terme de son apprentissage, quatre ans plus tard, elle s'exprimait couramment à l'aide de 132 signes gestuels conventionnels, et elle devenait l'élève de Roger Fouts. Il revient à ce dernier non seulement le mérite d'avoir poursuivi l'expérience, mais également d'avoir montré, par exemple, que la vitesse d'apprentissage varie, chez le singe comme chez l'homme, nettement d'un individu à un autre : les plus doués maîtrisent un signe en moins d'une heure, alors qu'il en faut trois ou plus aux moins doués pour atteindre le même résultat.

Talent

Certains signes sont plus difficiles à reproduire ou à mémoriser que d'autres. Il existe donc au niveau de chaque sujet un véritable talent personnel pour l'apprentissage du langage humain. Résultat remarquable, Washoe, mise en contact avec une colonie de chimpanzés qui n'avaient pas subi l'entraînement, utilisait d'emblée avec eux le langage gestuel humain.

Résultat plus remarquable encore, la confrontation de la même Washoe avec d'autres chimpanzés possédant aussi la maîtrise de quelques signes de l'alphabet des sourds-muets se soldait tout de suite par des conversations du type : « viens, viens vite », « donner fruit », « viens câliner », « Brune venir chatouiller Washoe » (ici, la réponse fut : « Brune venir vite »...).

Invention

Les singes qui, comme Washoe, sont entraînés à ce langage n'hésitent pas à inventer d'eux-mêmes des signes qui ne leur ont pas été enseignés. L'un d'eux, en mettant ses doigts en forme de boucle autour d'un collier imaginaire, a véritablement inventé le mot « laisse » (qu'il avait dû voir à un chien), pour exprimer son désir d'aller se promener.

Cette anecdote, également rapportée au congrès de Chicago par Roger Fouts, rejoignait une découverte du même ordre faite grâce à Washoe. En principe, celle-ci n'utilisait le mot « sale » que pour désigner des objets ou des lieux souillés. Mais, entrée un jour en conflit avec un macaque, elle le traita spontanément de « sale singe », insulte qu'elle réutilisa toujours à propos.

Sarah

Deux autres chercheurs américains, Ann et David Premadk, ont appris à un autre chimpanzé femelle, Sarah, à lire et à écrire à l'aide de symboles en matière plastique, de formes et de couleurs différentes.

La première étape de cet apprentissage exploitait, chez Sarah, des connaissances déjà acquises par l'animal. Les mots avaient d'abord trait aux transactions sociales courantes chez ces singes à l'état naturel. Le verbe « donner » est au centre d'un tel processus, qui implique la reconnaissance du donneur, celle du receveur et celle de l'objet donné.