Sol Spigelman a montré ainsi que les ARN provenant de plusieurs cancers possèdent des analogies avec l'ARN des virus causes des mêmes tumeurs chez la souris. Pour les leucémies, l'ARN trouvé était accompagné d'une enzyme virale caractéristique : la transcriptase-réverse, qui transcrit l'ARN en ADN.

Or, les individus sains ne sont porteurs ni de cet ARN ni de l'enzyme. À l'aide de la transcriptase et des ARN, on a synthétisé des ADN radioactifs, qui ont servi à des tests d'hybridation prouvant qu'il existe des fragments d'ADN viraux dans l'ADN des malades, et non dans l'ADN des sujets sains.

Jumeaux

L'observation déterminante eut lieu avec deux couples de jumeaux (familles différentes), dont l'un, chaque fois, était leucémique. Dans les deux cas, seul le malade portait dans ses ADN des fragments correspondant à l'ADN synthétisé par l'enzyme virale. Il était donc exclu que le composant responsable de cette information génétique ait été présent dans l'œuf unique qui avait donné naissance aux jumeaux. Il avait été contracté séparément par l'un des frères, soit avant, soit après la naissance.

Une nouvelle molécule, l'alpha-fœto-protéine

L'INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a réuni en mars, à Saint-Paul-de-Vence, un colloque sur l'alpha-fœto-protéine. Cette substance, appelée en abrégé AFP, est une molécule très particulière, abondante chez le fœtus et disparaissant presque entièrement après la naissance.

Cancers

En 1963. un chercheur soviétique, Abelev, en induisant en laboratoire des cancers du foie chez la souris, montre que les souris cancéreuses possèdent dans leur sérum de l'AFP, alors qu'on n'en trouve pratiquement jamais chez l'animal adulte sain. Deux ans plus tard, un autre chercheur soviétique, Tatarinov, découvre l'AFP dans des sérums provenant de malades atteints de cancers primitifs du foie. Quelques années plus tard, Abelev la trouve dans certaines tumeurs du testicule.

De ce fait, l'AFP paraissait offrir un moyen de diagnostic de certaines tumeurs. Des dizaines de milliers d'épreuves de détection furent pratiquées un peu partout dans le monde, notamment par Purves en Afrique du Sud, par Masseyeff au Sénégal et par Uriel en France. On considérait alors l'AFP comme présente normalement chez le fœtus, et chez l'adulte seulement dans deux circonstances pathologiques, le cancer du foie et certaines tumeurs du testicule. Plus récemment, on en a trouvé dans quelques cancers digestifs et même au cours d'hépatites virales.

Un chercheur américain, Gitlin, a expliqué ces faits en montrant que, chez le fœtus, l'AFP est sécrétée par le sac vitellin, qui enveloppe l'embryon, et par le tube digestif. Chez l'adulte atteint de cancer, ce sont ces mêmes tissus qui se mettent à sécréter de l'AFP, c'est-à-dire le tube digestif, et d'autre part le testicule, dans lequel subsistent des cellules du sac vitellin.

Obstétrique

Différents chercheurs, utilisant une nouvelle méthode de détection extrêmement sensible, viennent de montrer que l'AFP existe à l'état de trace même chez l'adulte sain. Au cours des cancers, elle ne fait donc qu'augmenter considérablement et non pas réapparaître.

En obstétrique, le dosage de l'AFP dans le sang maternel fait ressortir une corrélation entre le taux d'AFP dans le sang et l'âge gestationnel, c'est-à-dire la maturité réelle du fœtus, que le poids du nouveau-né n'indique pas avec précision.

Plus intéressante peut-être encore est l'étude des variations du taux avant la naissance, dans le liquide amniotique ou dans le sérum de la mère. Les teneurs en AFP augmentent dans plusieurs cas où le fœtus est menacé, notamment lorsque son développement est anormal. Le dosage de l'AFP constituerait donc une méthode pour déceler des malformations ou des maladies métaboliques avant la naissance. Certains de ces désordres métaboliques pourraient alors être combattus par un traitement préventif, qui serait moins efficace ou même inopérant s'il intervenait plus tardivement.

L'AFP paraît avoir existé dans le règne animal depuis une époque très reculée de l'évolution, peut-être 400 millions d'années. Elle est la protéine majeure de l'embryon à un stade précoce de son développement. Il est donc vraisemblable qu'elle possède une fonction physiologique. Peut-être se lie-t-elle fortement à certaines hormones œstrogènes, qui sont toxiques pour le fœtus. Celles-ci seraient alors inactivées, et le fœtus serait protégé.