Liliana Cavani s'est trouvée avec son Portier de nuit dans la même situation inconfortable que Bernardo Bertolucci à l'époque du Dernier tango à Paris. Il serait dommage que le public, abusé par les controverses féroces qui ont accueilli cette œuvre, ne se rende pas compte que loin d'être une apologie complaisante du nazisme, Le portier de nuit est une pénétrante exploration des zones obscures du subconscient. À partir d'un cas limite et provoquant, Cavani exprime son angoisse devant les rapports sadomasochistes qui peuvent exister entre un bourreau et sa propre victime. Ce n'est qu'à la lumière des romans de Dostoïevski, des écrits du marquis de Sade et de Georges Bataille que l'on peut sérieusement discuter de ce film sulfureux, superbement interprété par Dirk Bogarde et Charlotte Rampling.

Qualité

Francesco Rosi, fuyant à son habitude l'anecdote pour s'attacher aux véritables racines du problème traité, a tenté à travers la vie de Lucky Luciano de démarquer les causes historico-politiques de l'irrésistible ascension du chef de la Mafia. Le film est de la même veine que Main basse sur la ville et L'affaire Mattei. Marco Leto, un nouveau venu, a beaucoup surpris en présentant La villeggiatura, tournée en noir et blanc avec un modeste budget. Une remarquable analyse politique, qui place son auteur parmi les grandes révélations de ces derniers temps. Le film retrace les étapes de la prise de conscience politique d'un intellectuel bourgeois placé en résidence surveillée sur une petite île, au temps de la dictature mussolinienne. Mais le cinéma italien, dont la production est très équilibrée avec des films de divertissement de qualité (Moi, la femme et Les complexés de Dino Risi et, quelques marches au-dessous, Ma femme est un violon de P. Festa Campanile), des westerns-spaghetti (Mon nom est Personne de Tonino Valerii, l'assistant de Sergio Leone), des comédies libertines (Malicia de Salvadore Samperi, avec Laura Antonelli), des « à la manière de » très pasoliniens (Histoires scélérates de Sergio Citti), des puzzles baroques frénétiques (Salome de Carmelo Bebe), a connu aussi quelques échecs. Zeffirelli, au bord du maniérisme, s'est trompé en voulant faire de son François et le chemin du soleil une allégorie universelle dévorée par la joliesse et les effets de style. Marco Ferreri, sur un scénario acide et très contestataire, n'a pas su construire un véritable film. De Touchez pas la femme blanche ne reste en effet que le souvenir d'une judicieuse utilisation d'un fabuleux décor naturel (les Halles de Paris en proie aux démolisseurs).

Michelangelo Antonioni, en tournant La Chine, s'est pris à son propre piège : paralysé peut-être par l'ampleur de son sujet, il n'a pu rapporter de son long voyage autre chose qu'un intéressant carnet de route, trop sage et respectueux sans doute pour assouvir la faim visuelle du spectateur qui attendait de l'auteur de L'avventura un point de vue plus personnel et plus incisif.

Pays divers

Deux films suédois seulement ont été présentés sur les écrans français, mais tous deux d'une exceptionnelle qualité. Cris et chuchotements d'Ingmar Bergman, on l'a écrit un peu partout depuis sa présentation très remarquée au Festival de Cannes 1973, est apparu comme une manière de chef-d'œuvre qui venait couronner une carrière extrêmement brillante. Cette « sonate en rouge majeur » est plus qu'une méditation sublime sur la mort ; c'est aussi un éblouissant exercice de cinéma et l'occasion pour quatre comédiennes (Liv Ullmann, Ingrid Thulin, Harriet Andersson et Kari Sylwan) de prouver leur immense talent. Les émigrants et Le nouveau monde, une fresque en deux parties, de Jan Troell, se place au nombre des grandes révélations de l'année. Le réalisateur, ancien opérateur de Bo Widerberg, a décrit avec force et poésie l'odyssée des premiers colons suédois en Amérique du Nord, efficacement aidé par la présence magnétique de deux acteurs « bergmaniens » : Max von Sydow et Liv Ullmann.

L'implantation du film belge (Belle d'André Delvaux, un demi-échec cependant, et Home, sweet home de Benoit Lamy) et surtout suisse (L'invitation de Claude Goretta, Le retour d'Afrique d'Alain Tanner, L'escapade de Michel Soutter, La fille au violoncelle d'Yvan Butler, Les vilaines manières de Simon Edelstein et Cette nuit ou jamais de Daniel Schmid) se poursuit sur le marché français. À la petite musique de chambre (souvent caustique et peu conformiste) des Suisses de langue française répond maintenant le baroquisme décadent des Suisses de langue allemande, dont l'un des leaders est Daniel Schmid. Un courant identique se propage en Allemagne, où Werner Schroeter marie l'expressionnisme et le kitsch (La mort de la Malibran, Willow Springs) tandis que Peter Fleischman se souvient du W.R. ou les mystères de l'organisme de Makavejev dans son Dorothea qui se voudrait une dénonciation de la pornographie, mais utilise avec une habile ambiguïté les mêmes voies que ceux qu'il dénonce.