Eno fascine, par son personnage d'abord, chef-d'œuvre de réalisation esthétique sur soi-même : judicieux maquillage qui met en valeur le visage très fin et souligne l'aspect graphique du personnage. Son intelligence syncrétique et son sens de la mode, du courant qui passe, pourraient lui permettre d'accomplir une carrière très fructueuse. Un peu à la manière de son ami (et parfois coéquipier) Robert Fripp, créateur du groupe King Crimson, l'un des plus importants au sein de cette nouvelle tendance : le rock symphonique.

Influences

Celui-ci est apparu vers 1969, avec les Nice, le nouveau Pink Floyd et surtout King Crimson. Après avoir effectué de nombreux changements à l'intérieur du groupe, Robert Fripp semble tenir la formation la plus cohérente, la plus forte et la plus durable de son histoire.

Elle est en passe de devenir la plus populaire chez nous, en particulier après ses excellents concerts à Paris (novembre) et en province (mars). La musique de Crimson n'est pas d'un abord très facile, pourtant. Les influences classiques demeurent, mais adaptées au langage du rock, transformées, très loin de toute évanescence, comme c'est le cas chez Yes (Paris, avril) ou ELP (Paris, mai). Elle possède une sorte de pouvoir occulte, tout entier entre les mains de Robert Fripp, compositeur extrêmement exigeant, un des grands maîtres de la musique pop contemporaine.

Les recherches de Crimson se retrouvent chez quelques autres groupes dignes d'intérêt. Parmi ceux-ci, Genesis, qui présente un spectacle très élaboré, mis en scène et interprété par son chanteur, Peter Gabriel.

Genesis fouille dans les traditions littéraires anglaises, Dickens, Mervyn Peake, Lewis Carroll. Son itinéraire musical s'étend à d'autres pays européens, emprunte à l'Espagne classique de De Visée, aux baroques allemands.

Le rock réalise que sa culture n'est pas unique, américano-centriste. Et les Anglais, après les Allemands, s'en aperçoivent et retrouvent dans les anciens répertoires des charmes que la culture Coca-Cola voulait nous faire oublier. On redécouvre même la peinture, et l'un des plus beaux morceaux du nouveau King Crimson chante une célèbre toile de Rembrandt (Le guet).

Dernier maillon de cette chaîne qui nous ramène vers nos origines culturelles, le merveilleux Tubular Bells de Mike Oldfield.

Sur une longue trame mélodique où l'on retrouve encore la marque de Terry Riley, il brode sur les deux faces d'un album une musique complexe où jaillissent comme autant d'éclairs de fraîcheur des danses paysannes, des valses, des thèmes d'une infinie légèreté ; on y sent plus d'une fois en filigrane le sourire gentil du Sergeant Pepper des Beatles, le premier qui montra la voie de la réconciliation entre les charmes de la vieille Europe et les rythmes nord-américains.

Est-ce à dire que les monstres sacrés sont en train de disparaître au profit des petits chercheurs – artisans – alchimistes ? Il n'en est rien : le rock possède une audience suffisamment large pour se permettre toutes les expériences, tout en gardant une certaine fidélité envers ceux qui l'ont vu naître.

La nostalgie des grandes années étreint périodiquement les déjà vieux amateurs (et les compagnies de disques qui rééditent à tour de bras les succès d'antan). Les superstars se survivent à elles-mêmes. Dylan a repris la route avec son orchestre favori, The Band.

On parle au moins une fois par mois d'une éventuelle reformation des Beatles. Un album de Ringo Starr ne regroupe-t-il pas les quatre de Liverpool ? Les Who (Paris, en mars) se penchent sur leur passé et sortent un nouvel opéra entièrement consacré au mouvement qu'ils ont représenté au milieu des années 60 : les Mods (Quadrophenia).

Le regard sur le passé peut être le signe de problèmes de créativité pour quelques-uns. Pour d'autres, il est une pause avant un nouvel élan. Dylan, par exemple, a une fois de plus renouvelé complètement son langage, et son inspiration a retrouvé le souffle de ses meilleures années.

L'aspect prolifique du rock a des effets heureux chez nous, et l'on commence (enfin) à voir apparaître une musique pop française originale qui remporte même un certain succès à l'étranger (en Angleterre notamment) avec Ange, Magma et Alan Stivell.