Les extrémistes de gauche ou de droite ont tendance à s'armer. L'opposition accuse Allende de vouloir créer une milice et, sur les murs des pobladores, bidonvilles ouvriers, on peut lire : « S'il faut que le peuple ait des armes, il en aura. » La violence s'étend. Le 27 juillet, le capitaine de vaisseau Arturo Araya Marin, aide de camp du chef de l'État, est assassiné à son domicile par un commando d'extrême droite.

Conscient du danger qui plane sur les institutions, Patricio Alwyn, président du parti démocrate-chrétien, principale formation d'opposition, accepte de renouer le dialogue avec le gouvernement. Trop tard. Le 25 juillet, les transporteurs routiers déclenchent une grève qui motivera l'intervention de l'armée, mettant ainsi fin au régime.

Les transporteurs (ils sont souvent leurs propres chauffeurs) vont s'employer pendant plus d'un mois à désorganiser l'économie. Ils préféreront saboter leurs véhicules plutôt que se soumettre à une réquisition. Le gouvernement est décidé à se montrer intraitable, mais ses consignes de sévérité sont appliquées avec mollesse par les forces armées. De violents affrontements ont lieu entre grévistes et non-grévistes. Les attentats se multiplient.

Cauchemar

Les commandants en chef des trois armes et le directeur général de la gendarmerie acceptent d'entrer dans le nouveau gouvernement, qui est constitué le 9 août.

L'opposition modérée approuve cette initiative sur laquelle la gauche reste divisée. « C'est le remaniement de la dernière chance », déclare Allende, qui ajoute, le 13 août : « Nous sommes au bord de la guerre civile et nous devons l'empêcher. » Le président ordonne à plusieurs reprises de mettre fin à une grève qui « porte atteinte à la sécurité nationale ». Les transporteurs refusent.

Des heurts opposent de plus en plus fréquemment, dans les rues de Santiago et en province, partisans et adversaires du régime. « Le Chili vit un cauchemar », confie le président ; le 18 août, il limoge le général Ruiz, ministre des Transports et commandant de l'armée de l'air, qui aurait manqué de fermeté avec les entrepreneurs de transports. La décision d'Allende contribue à détériorer le climat au sein de l'armée, en particulier dans les rangs des Forces aériennes chiliennes (FACH).

La Démocratie chrétienne, encouragée par le mouvement des camionneurs (qu'elle soutient totalement), pose de sévères conditions, inacceptables pour Allende, à la reprise du dialogue avec l'Unité populaire. Après plusieurs grèves d'avertissement, les commerçants et les gremios (associations professionnelles, dont celle des médecins) se joignent aux transporteurs, aggravant la situation et paralysant de larges secteurs.

Le 22 août, la Chambre des députés (l'opposition y est majoritaire) adopte une motion accusant le président Allende de « ne pas respecter la Constitution ». Elle veut ainsi contraindre les forces armées à choisir entre « la légitimité parlementaire et la légitimité gouvernementale ». Le mouvement Patrie et Liberté, passé dans la clandestinité après sa dissolution, en juillet, affirme dans un tract : « Allende est devant un choix : ou il démissionne, ou il se suicide. S'il n'obéit pas à l'ordre que lui donne le Chili, le peuple fera justice en exigeant sa vie et celle de ses complices. »

Le glas

Le 23 août, le général Prats, ministre de la Défense et légaliste, cédant à la pression de ses pairs, démissionne de ses fonctions pour ne pas « briser l'unité de l'armée ». Son départ sonne le glas du régime et fera dire au parti démocrate-chrétien et au parti national que « le compte à rebours » a commencé pour Allende. Une nouvelle démission intervient le 27 août, celle de l'amiral Montero, ministre des Finances. Le lendemain, un nouveau gouvernement est en place. Quatre militaires en font partie, mais ce sont des généraux sans commandement réel dans l'armée. Leur présence, pourtant, rassure le président, qui s'exclame : « Il n'y aura pas de coup d'État, il n'y aura pas de guerre civile, parce que la grande majorité des Chiliens rejettent de telles solutions. »