Dès cet instant, la situation paraît sans issue ; les forces armées se sont retournées en bloc contre lui. Le mouvement des putschistes est dirigé par les commandants en chef des trois armes, les généraux Augusto Pinochet Urtaga (terre), Gustavo Leigh Guzman (air), l'amiral Toribio Medina (marine), et par le directeur général des carabiniers, le général César Mendoza.

Le président Allende décide de défendre la légalité, fût-ce par les armes. À la mise en demeure des militaires, il répond par une allocution radiodiffusée : « J'affirme ma décision de résister par tous les moyens disponibles, même au prix de ma vie... » Personne ne pourra entendre la fin de cette proclamation. La radio interrompt brusquement ses émissions.

Simultanément, les chars ouvrent le feu à la mitrailleuse, puis au canon, sur le palais. Un incendie se déclare.

Dans toutes les grandes villes et sur tout le territoire les militaires font main basse sur les administrations, les émetteurs de radio ou de télévision et les centres névralgiques du pays. Les heures passent sans que rien vienne contrecarrer le minutieux plan des rebelles.

Au palais de la Moneda les nouvelles de plus en plus alarmantes se succèdent. Le président Allende renvoie ses proches (dont ses deux filles). Près de lui ne restent que des volontaires, militants de gauche ou gardes restés fidèles. Le président est coiffé d'un casque et armé d'une mitraillette – cadeau de Fidel Castro, dira-t-on.

Aux environs de 18 heures, par vague de trois, des Hawkers Hunter commencent à bombarder le palais présidentiel ; voilà seulement dix heures que le coup d'État des militaires a commencé.

Reddition

Vers 18 h 40, la garde du palais se rend. On apprendra, après cette reddition, que le corps du président Allende a été retrouvé dans une petite pièce du palais. À ses côtés, le cadavre de son ami et conseiller de presse Augusto Olivares. Le président s'est-il suicidé ? Est-il mort en combattant ? Sa mitraillette ne l'a pas quitté. En faveur d'une thèse ou de l'autre les informations les plus contradictoires circulent. Pour les rebelles, bien entendu, il n'est question que de suicide...

Beaucoup plus tard, des témoins, dont le Dr Soto, médecin personnel du président, confirmeront qu'il s'est bien suicidé. La femme et la fille du président ne cessent depuis de répéter qu'Allende était mort « les armes à la main », qu'il avait été « assassiné ».

L'émotion est profonde en Europe occidentale. Au fil des semaines, les protestations ne cesseront de se multiplier. Très vite on s'aperçoit que l'ordre des militaires, après avoir tué un régime, menace les libertés et même la vie des Chiliens.

Dans les jours qui suivent ce 11 septembre, à l'étonnement général, la résistance des forces de gauche reste assez limitée. Quelques groupes de francs-tireurs harcèlent les troupes dans les rues de Santiago ou dans des usines sous le feu des mitrailleuses ; plusieurs dizaines d'étudiants sont massacrés à l'université technique.

La crise économique, sociale et morale est extrêmement grave. Les militaires en prennent prétexte pour « lancer la mission historique et responsable du combat pour la libération du pays du joug marxiste ». L'Unité populaire ne semble pas être la seule responsable de la dégradation de la situation ; les manœuvres de la droite ont, elles aussi, favorisé un climat de chaos et d'anarchie propice à un coup de force.

Prémices

Les officiers, souvent d'origine bourgeoise, prêtaient de plus en plus une oreille attentive aux propos de l'opposition (singulièrement de la Démocratie chrétienne), selon laquelle Allende menait le pays à la ruine. Aux généraux, membres du gouvernement, les militaires reprochent de faire le jeu des marxistes et de rompre ainsi avec la tradition d'apolitisme de l'armée.

Le 3 juillet, S. Allende forme un nouveau gouvernement. Les militaires refusent d'y participer. Pour monnayer la loyauté dont elles ont fait preuve contre les auteurs du putsch manqué du 29 juin 1973, les forces armées auraient eu des exigences que le président ne pouvait satisfaire, celles-ci allant à l'encontre de sa politique.