Au soir du 27 janvier, c'est le soulagement général, mais chacun, tout en se félicitant de l'accord obtenu, reste sur la réserve. Si la guerre est officiellement terminée, la lutte politique continue pour le destin du Sud Viêt-nam.

Les documents signés laissent à chacun des partenaires une marge assez large pour que tous les coups, toutes les manœuvres, toutes les feintes soient permis.

Violations

Le cessez-le-feu n'est pas la paix. La dynamique de la guerre est encore trop puissante. Les cinq mois qui vont des accords de Paris à ce remake que constituent les nouveaux accords, signés le 13 juin 1973 par les mêmes partenaires pour appliquer les premiers, révèlent précisément les résistances, les hésitations, les méfiances et les suspicions devant une situation dont chacun craint de faire les frais.

Tandis qu'au Cambodge une guerre ouverte continue de faire rage, au Laos (où le cessez-le-feu est conclu le 22 février) et au Viêt-nam une lutte politico-militaire commence. Officiellement, on ne s'affronte plus les armes à la main ; dans la réalité, les violations du cessez-le-feu ne se comptent plus et sont même tolérées dans la mesure où elles restent limitées dans l'espace et le temps.

Les accords de Paris ne restent cependant pas lettre morte. Comme prévu, la Conférence internationale sur le Viêt-nam se réuni à Paris du 26 février au 2 mars, donnant en quelque sorte sa consécration et sa garantie à l'arrêt de la guerre. Mais cette garantie reste platonique, aucun mécanisme n'ayant été mis en place pour arbitrer les violations du cessez-le-feu, ainsi que le souhaitait le Canada. Le seul participant à se féliciter de la conférence est sans doute le GRP, qui voit ses positions politiques renforcées.

Comme convenu encore, le jeudi 29 mars, les derniers des 528 Américains prisonniers des Nord-Vietnamiens sont libérés. En même temps, les derniers GI's quittent le Sud Viêt-nam ; la commission militaire quadripartite est dissoute et laisse la place à la commission bipartite.

Américains, Nord-Vietnamiens, Sud-Vietnamiens et maquisards du GRP ont appliqué à la lettre les aspects les moins compromettants des accords de Paris. À la lettre, mais non dans l'esprit, car les arrière-pensées demeurent et personne n'a renoncé à ses objectifs.

– Les Américains sont partis... mais restent étrangement présents ; 15 000 militaires reconvertis en ingénieurs et techniciens assurent un soutien logistique à l'armée sud-vietnamienne, qui devient propriétaire des puissantes bases US, évitant ainsi leur démembrement. La VIIe flotte, les bases du Pacifique et de Thaïlande avec leurs milliers d'avions constituent toujours une force de dissuasion qui peut être utilisée à tout instant. En bref, si les États-Unis ont accepté la fin de la guerre, ils n'ont pas abandonné l'idée d'imposer à l'Indochine une paix qui leur convienne. Le jour même où le dernier soldat américain quitte officiellement la terre vietnamienne, Nixon menace Hanoi d'une nouvelle intervention en cas de violation des accords de Paris. Trois semaines plus tard, estimant que ceux-ci ne sont pas correctement respectés, il interrompt les opérations de déminage des côtes nord-vietnamiennes, suspend les négociations économiques avec Hanoi et ordonne la reprise des raids de reconnaissance au-dessus du territoire.

– Les Nord-Vietnamiens, pour leur part, restent méfiants. Par la célèbre piste Ho Chi Minh, ils renforcent en hommes et en matériel les positions qu'ils occupent ou qui sont tenues par le GRP. Celui-ci consolide politiquement et militairement les vastes secteurs qu'il contrôle. Aucun contact ne peut pratiquement être établi avec les autorités de Saigon sur le plan local.

– Les Sud-Vietnamiens, enfin, s'efforcent de récupérer ce que leur ont fait perdre les accords de Paris, en évitant tout règlement politique qui conduirait Thieu à abandonner une partie de sa souveraineté. Les violations du cessez-le-feu, qui se multiplient au lendemain des accords, sont pour la plupart imputables aux forces de Saigon (les Américains eux-mêmes le reconnaissent). Il ne s'agit pas pour elles de reprendre une guerre dont l'issue serait incertaine, mais de créer un climat qui rende impossible la création et le fonctionnement de ce Conseil national de réconciliation à trois composantes dont le général Thieu ne veut pas. Les négociations directes engagées à La Celle-Saint-Cloud entre représentants de Thieu et du GRP piétinent dès le début. À Saigon, la troisième force, neutraliste, inspirée par le général Minh, n'arrive pas à se constituer. Les hommes qui seraient susceptibles de lui donner corps et de l'animer sont en prison. On estime à environ 200 000 les civils détenus dans les geôles et les camps sud-vietnamiens. Thieu, depuis le départ des Américains, ne cesse de reculer le face-à-face inévitable avec le GRP.

Négociations

Ainsi, très vite, les engrenages et les mécanismes de paix créés par les accords de Paris se grippent et se bloquent. Aucun des anciens belligérants ne parle de revenir à la guerre, mais tout se passe, en avril, comme si les accords de Paris avaient été mis entre parenthèses.