La publication de ce document fait l'effet d'une bombe. Pour la première fois les concessions d'Hanoi et du GRP sont révélées officiellement et elles semblent ouvrir la voie à une solution d'ensemble. Contrairement à ce qu'ils exigeaient auparavant, les Nord-Vietnamiens acceptent que :
– le cessez-le-feu précède un règlement politique du Sud Viêt-nam ;
– le départ des troupes américaines se réalise dans un délai de deux mois (et non plus immédiatement) ;
– le général Thieu demeure — provisoirement au moins — au pouvoir.

Obstruction

En réponse à la publication de ce document, Henry Kissinger tient à Washington une conférence de presse quelque peu embarrassée. Il ne met en doute ni la bonne foi ni la bonne volonté de ses interlocuteurs ; il ne nie pas non plus la véracité du texte, mais il explique que quelques points restent encore à régler, qu'il y a des malentendus, qu'en bref il faut se revoir.

Partout on pense que ce n'est qu'une question de jours. Il n'en est rien. Les choses traînent en longueur et l'échéance des élections présidentielles passe sans qu'aucun progrès ne soit enregistré. Le 20 novembre, les conversations privées reprennent entre Kissinger et Le Duc Tho ; après une brève période d'espoir, c'est de nouveau la rupture. Le négociateur américain est chargé par Nixon d'annoncer la nouvelle. Désabusé, les traits tirés, Kissinger exprime le refus du président américain de conclure une paix qu'il ne juge pas honorable et indique qu'un « point fondamental » reste à résoudre.

Souveraineté

Ce point — bien qu'il ne l'avoue pas — est le problème de la souveraineté réelle du Sud Viêt-nam que les Américains ont soulevé après les conversations d'octobre et manifestement sous la pression du général Thieu, qui, depuis août, ne cesse de faire de l'obstruction. Il se traduit dans l'alternative suivante : existe-t-il un seul Viêt-nam temporairement divisé ou bien deux États, le Nord et le Sud, sur lesquels Saigon exerce une souveraineté légale pleine et entière ? Pour Thieu, seule la seconde réponse est la bonne, alors que les Nord-Vietnamiens se réfèrent aux accords de Genève de 1954.

Barbarie

Les négociations sont interrompues et Nixon déclenche, le 18 décembre, les plus formidables raids de toute la guerre. Chaque jour jusqu'au 1er janvier (et en dehors d'une courte trêve à Noël), les appareils américains déversent des milliers de tonnes de bombes sur le Nord Viêt-nam, sans faire de distinction entre objectifs civils et objectifs militaires. Ce coup de semonce dont le but est d'amener Hanoi à faire de nouvelles concessions provoque l'indignation du monde entier. Même les alliés les plus sûrs et les plus fidèles des États-Unis protestent. Le quotidien américain New York Times écrit : « Le Viêt-nam du Nord peut être bombardé jusqu'à être ramené à l'âge de pierre (...), mais, par la même occasion, les États-Unis sont menacés de revenir à une espèce de barbarie qui pourrait détruire en partie ce qu'il y a de meilleur dans la civilisation américaine. »

Les raids sont brusquement stoppés le 1er janvier 1973. Kissinger et Le Duc Tho reprennent leur dialogue. Dès lors les conversations vont se poursuivre de façon quasiment ininterrompue jusqu'au 23 janvier, où les deux hommes apposent leur paraphe au bas d'un document qui sera solennellement signé quatre jours plus tard à Paris, à l'hôtel Majestic, par les quatre ministres des Affaires étrangères des parties en cause : Rogers pour les États-Unis, Nguyen Duy Trinh pour le Nord Viêt-nam, Tran Van Lam pour le Sud Viêt-nam et Mme Nguyen Thi Binh pour le GRP.

L'accord

Les quelque soixante pages qui mettent officiellement fin à la guerre du Viêt-nam constituent un véritable monument d'équilibre diplomatique. Elles peuvent se résumer en quatre points essentiels :
• Problèmes militaires. Le cessez-le-feu est décrété sur tout le territoire vietnamien à partir du 27 janvier 1973 à 24 h GMT (1 h du matin le 28 janvier à Paris). Les États-Unis s'engagent à démanteler leurs bases et à retirer leurs troupes dans un délai de deux mois. Parallèlement, les prisonniers militaires seront échangés. En ce qui concerne les prisonniers civils détenus au Sud Viêt-nam, le texte invite les deux parties sud-vietnamiennes (le gouvernement de Saigon et le GRP) à se mettre rapidement d'accord, ce qui signifie que l'affaire est laissée au bon vouloir de Thieu ;
• Sud Viêt-nam. Le Nord Viêt-nam et les États-Unis s'engagent à respecter le droit d'autodétermination de la population sud-vietnamienne. Immédiatement après le cessez-le-feu, le GRP et le gouvernement Thieu doivent créer avec les neutralistes un « Conseil national de réconciliation et de concorde à trois composantes égales » qui sera chargé d'organiser des élections générales. C'était le souhait de Hanoi et du Front ; cependant, dans ce conseil, chacune des parties (et donc Thieu) a le droit de veto, et aucune date n'est fixée pour les élections ;
• Réunification des deux Viêt-nam. « La souveraineté, l'unité et l'intégrité territoriale du Viêt-nam consacrées par les accords de Genève » sont reconnues par les parties en cause. Il n'y a donc qu'un seul Viêt-nam (comme le réclamaient les Nord-Vietnamiens et le GRP), et le 17e parallèle n'a qu'un caractère provisoire. Mais une éventuelle réunification des deux Viêt-nam ne peut se faire que sur la base de discussions et d'accords entre l'un et l'autre ;
• Contrôles. La mise en œuvre des procédures et des étapes fixées par l'accord sera suivie par :
– une commission militaire quadripartite jusqu'au départ des Américains, après quoi elle se transformera en une commission bipartite (GRP et Saigon) ;
– une commission internationale de contrôle et de surveillance composée d'observateurs canadiens, hongrois, indonésiens et polonais. Cette commission est appelée à travailler en accord avec une conférence internationale qui sera chargée de garantir le maintien de la paix. Cette conférence, à laquelle participeront (en plus des parties en cause et des États membres de la commission) la Chine, l'URSS, la France et la Grande-Bretagne, se réunit du 26 février au 2 mars.