À la recherche d'un équilibre, certes difficile, entre un conformisme culturel trop sévère et une futilité nuancée de médiocrité qui, pour se vouloir exagérément populaire, rejoint parfois la vulgarité, bien des projets ont échoué, bien des hommes se sont usés. Et le téléspectateur a sombré dans l'indifférence. D'un naturel paresseux devant le petit écran — en huit ans il n'a pas encore acquis le réflexe de tourner le bouton pour passer de l'une à l'autre chaîne —, il subit. Mais son intérêt s'émousse.

Il y a quelques années, l'arrivée à Paris d'une vedette de feuilleton déclenchait un énorme mouvement de foule, le problématique mariage de l'héroïne d'une série suscitait des milliers de lettres. Aujourd'hui, les jeunes premiers du petit écran font du tourisme en toute quiétude et les épousailles des princesses imaginaires se déroulent sans nécessiter de référendum. En quête de têtes nouvelles et de talents, le public français, qui avait appris à vivre avec la télévision, risque fort de réapprendre a vivre sans.

Les tentatives successives et alternées de concurrence et de complémentarité entre les deux chaînes ont finalement toujours cédé le pas au manque de coordination, aux doublons, au matraquage, voire même à l'incohérence. Cela semble avoir été évident, plus encore que par le passé, au cours de la saison 1971-72, en particulier dans le joyeux et complet désordre de la programmation.

Morne été

Pierre Sabbagh annonce, sur la première chaîne, une grille normale pour l'été ; avec un air de vacances, elle devrait être aussi fournie que celle du printemps. Maurice Cazeneuve, conscient des difficultés auxquelles il va cette fois encore se heurter, reste plus modeste.

L'été achevé, force sera de reconnaître que les deux programmes auront été souvent défaillants. Les très rares soirées où l'on est sorti de la grisaille, le public néanmoins a été irrité par la simultanéité d'émissions de qualité sur les deux chaînes. Si Objectifs, le Club de la presse, Au théâtre ce soir sont restés égaux à eux-mêmes, les dramatiques et les variétés ont fait preuve d'indigence. Un certain drame historique, évoquant la duchesse de Berry, a été d'une rare pauvreté qui atteignait parfois au grotesque. Quelques deuxièmes diffusions, des variétés plus que médiocres — Paris-Vacances et les habituelles recettes d'Intervilles et de Jeux sans frontières — ont complété un programme qui eût été franchement navrant, sans l'intérêt suscité par la transmission de l'opération Apollo XV. À verser à l'actif de la deuxième chaîne quelques bonnes émissions : Anatomie d'un faussaire, Arcana ; la diffusion de films de qualité — festival Buñuel — et des rediffusions (le Lys dans la vallée, Mélissa).

Réorganisation

La page estivale tournée sans gloire, l'Office s'engage, à la rentrée, sur la voie de nouvelles transformations. La bonne volonté et le souci de qualité de Maurice Cazeneuve — par ailleurs excellent réalisateur — n'ont pas pu l'imposer comme directeur de chaîne. Beaucoup de bonnes émissions ont été présentées à la sauvette ou assenées comme un cours indigeste (les soirées documentaires du dimanche notamment). Au contraire, Pierre Sabbagh, champion d'une télévision populaire discutable peut-être, a maintenu sur sa chaîne un certain équilibre des genres. Maurice Cazeneuve — que certains taxent d'intellectualisme — n'a pas réussi à faire grandir l'audience de la deuxième chaîne : on lui substitue donc, le 3 septembre 1971, Pierre Sabbagh, qui, pense-t-on, sera plus apte à établir une grille de programmes susceptible de capter l'intérêt. Quant à la première chaîne, elle est confiée à Roland Dhordain, qui sut faire de France-Inter une chaîne de qualité à large audience.

Ces mutations suscitent bien des commentaires dans la presse. Pierre Sabbagh, accusé par les chroniqueurs spécialisés de transférer toutes les émissions à succès de la première chaîne sur la deuxième, s'en défend vigoureusement au cours d'une conférence de presse donnée en septembre. Il reconnaît cependant que ses réussites les plus populaires le suivent dans son transfert : les Cinq Dernières Minutes, la série des Maigret, les productions de Guy Lux et Pierre Bellemare, Samedi soir (animé par Philippe Bouvard) et son enfant chéri Au théâtre ce soir, qui a fait découvrir le théâtre du Boulevard à un certain public à travers quelques bonnes pièces, mais s'épuise désormais avec un répertoire de plus en plus terne. Cette formule, à mi-chemin entre le théâtre et la télévision, finit par ne plus être représentative ni de l'un ni de l'autre.

L'affaire Clavel

Maurice Clavel et Jean Royer, maire de Tours, doivent, en décembre 1971, s'affronter dans l'émission À armes égales, sur le thème de l'évolution des mœurs dans la société française. Les spectateurs ont la surprise de voir le combat cesser faute de combattants : Maurice Clavel quitte brusquement le plateau pour protester contre la suppression, qu'il juge abusive, d'un mot dans le commentaire de son film (il s'agissait de « l'aversion » que le président de la République éprouverait envers la Résistance, « interprétation polémique présentée abusivement comme une citation », précisent les producteurs). L'affaire se termine devant les tribunaux.

Les télémémoires

Fin avril 1972 est présentée la première émission de la série la Légende du siècle. Un document qui a demandé huit mois de tournage et soixante-quinze kilomètres de pellicule. André Malraux a accepté de parler, à bétons rompus, avec Claude Santelli, des grands hommes qu'il a rencontrés, des événements importants qu'il a vécus. Un montage long et difficile a abouti à une dizaine d'émissions, dont cinq ont été programmées le samedi, à 21 h 30, sur la deuxième chaîne couleur.

Seul

Cinq jours par semaine, Joseph Pasteur, seul face aux caméras pendant toute la durée du journal télévisé, première chaîne, présente, à la manière américaine, les événements du jour. Aux États-Unis, Walter Cronkite anime depuis plus de dix ans, cinq jours par semaine, le journal du soir de la chaîne CBS. Et c'est un succès. Une trentaine de journalistes travaillent pour Cronkite ; son équipe — monteurs, projectionnistes — est autonome au sein du service d'information. Il peut utiliser tous les moyens techniques, les envoyés spéciaux, les correspondants et les stations de la CBS.

Jeux multiples

Pour s'assurer une participation plus active des Français, Pierre Sabbagh inclut des jeux dans beaucoup d'émissions : on joue aux variétés avec Cadet Rousselle, on joue à la littérature avec Italiques, on joue aux jeux de société avec Entrez sans frapper, on joue au concours avec la France défigurée.