Pour un Guy Rétoré, rigoureux serviteur de Brecht, à qui l'on doit la découverte, au TEP, d'une de ses dernières pièces inédites en France, Sainte Jeanne des abattoirs, fable anticapitaliste des années 30 annonçant déjà les grandes satires comme Arturo Ui, combien de Jacques Rozner, tirant vers le réquisitoire social la fantaisie postsurréaliste du Coup de Trafalgar, combien de Jérôme Savary, supprimant tout dialogue — ou presque — pour nous conter dans une ambiance de fête ou de bal des Quat'Zarts les aventures d'un Robinson Crusoé gagné par une aimable folie ?

On ne pourrait pas non plus s'arrêter longtemps au texte de la Comédie policière montée à la salle Gémier par le groupe TSE. C'est la parodie de n'importe quel film B d'il y a vingt ans, quand Agatha Christie fournissait au cinéma ses succès commerciaux. Mais, à partir de là, Fernando Arias et ses camarades argentins ont bâti un spectacle cohérent, singulier, précieux jusqu'au kitch, et qui était une critique par l'humour d'un genre délicieusement désuet.

Antoine Vitez, au contraire, s'est attaché — ou attaqué ? — aux grands textes, puisqu'il a présenté, dans les préaux et les gymnases de banlieue, l'Électre de Sophocle et le Faust de Goethe. Si, pour le premier de ces spectacles, le public populaire pouvait être touché par la noblesse de la tragédie antique, superbement restituée avec une belle économie de moyens, il aura eu sans doute plus de mal à suivre ce Faust émietté, véritable cocktail de réminiscences diverses qui demandait, pour être goûté, une forte culture et beaucoup d'attention. Est-ce la bonne méthode pour gagner le non-public au théâtre ?

Ariane Mnouchkine, pour sa part, semblait y être parvenue : on se rappelle son succès, l'an dernier, à la Cartoucherie de Vincennes. Sa nouvelle création aura peut-être un peu surpris les spectateurs enthousiastes de 1789. Avec 1793, il ne s'agit plus d'une joyeuse parade révolutionnaire, mais d'un cours d'histoire très statique et d'un chant grave où le petit peuple de Paris exprime ses espoirs et ses désillusions quotidiennes sous la Terreur. Courageusement, l'animatrice du Théâtre du Soleil n'a pas voulu exploiter la recette d'une réussite, et cherche une fois de plus à rester fidèle à elle-même et à ses idéaux. Un jeune public recueilli la suit, déconcerté parfois. Si le pari est gagné, elle n'en aura que plus de mérite.

Quant à Patrice Chéreau, le plus brillant parmi ces novateurs, il inaugure son règne de codirecteur du TNP nouvelle manière en présentant à Villeurbanne Le massacre à Paris. De cette tragédie transposée par Jean Vauthier — il s'agit de la nuit de la Saint-Barthélemy vue par Marlowe —, il a tiré un étrange ballet nautique, où les acteurs du drame pataugent dans un mètre d'eau. Pour quelques effets saisissants, et même admirables, fallait-il ainsi noyer pendant plus de trois heures les ligueurs, les huguenots et la cour des Valois ? La critique reste partagée, et le public paraît assez imperméable aux symboles de cette inondation d'artifice... comme les feux du même nom.

Le one man show

Aussi, dans un théâtre où les auteurs se font rares, tandis que les metteurs en scène s'abandonnent à leur génie parfois déroutant, il ne faut pas s'étonner outre mesure de voir des comédiens tentés par le one man show, à l'exemple des artistes de music-hall. Ce fut un des phénomènes caractéristiques de cette année que cette floraison soudaine de solitaires qui s'interprètent eux-mêmes.

Ouvrant la saison dès septembre, le Genevois Bernard Haller aura tenu la scène de la Michodière pendant neuf mois avec son spectacle en forme d'interrogation : Et alors ? Mêlant à l'absurde des gags désopilants, cet acrobate du verbe au métier de fer a su réaliser le saut difficile du café-théâtre au théâtre sans café. Sa performance et son talent valent un salut admiratif.

Autre Suissesse jusque-là peu connue en France, Zouc a détaillé pour nous son Alboum à l'Atelier. Suite de sketches et d'esquisses d'une précision quasiment clinique, cette chose insolite imposait un univers du geste et de la parole saisi dans sa banale horreur par une observatrice extraordinaire — et sans pitié.