Mais que deviendront ces jeunes, qu'une publicité abusive lance au firmament des étoiles ? Où sont allés Frank Alamo, Jacqueline Boyer, Lucky Blondo, Rosalie Dubois, Patricia Carli, Olivier Despax, Dick Rivers, etc. ?

Cette année, cependant, se confirme le succès d'un peloton de jeunes chanteurs, duquel sortira peut-être l'étoile de demain : Michel Sardou (Le rire du sergent), que certains accusent de vouloir ressusciter Georges Milton ; néanmoins, son succès est certain ; Joe Dassin, Américain bien français, et Français bien américain (Elle était, Hoh !, Dassin-Delanoé). Julien Clerc avait débuté à l'Olympia en février 1969. Il y revient en vedette après un succès dans Hair.

Michel Delpech, disque d'or du Midem, dont le charme certain conquiert les âmes sensibles avec Quand un soldat revient, Même pendant la guerre, ou, plus populaire, L'amour en wagon-lit.

Michel Fugain, lancé par un pastiche d'une romance du XVIIIe siècle : Je n'aurai pas le temps, continue dans un répertoire de même style avec Un enfant dans la ville, comédie musicale (Delanoé) réalisée par la télévision. Fugain concrétise une jeunesse saine, ennemie des artifices.

Mireille Mathieu s'éloigne de plus en plus du personnage de Piaf, qui lui avait valu d'être sacrée vedette avec un peu trop de rapidité. En progrès constants, elle personnifie pour ses admirateurs la jeune fille française sage et bien élevée. L'Allemagne de l'Ouest lui décerne un Bambi d'or et Francis Lai la charge de défendre ses chansons (Mireille Mathieu chante Francis Lai).

Régine, très occupée par la direction de divers cabarets, s'affirme cependant comme l'une des meilleures fantaisistes du moment.

Des groupes se constituent et se désagrègent : Les Parisiennes, qui depuis dix ans avaient connu des bonheurs différents, se séparent. Les Charlots (ex-Problèmes), après le succès de leur film Les bidasses en folie, semblent vouloir se reconvertir dans l'industrie cinématographique, mais leur quintette est réduit à un quatuor : Luis Rego, le pince-sans-rire du groupe, décidant de faire un solo.

L'ensemble vocal qui paraît avoir manifesté cette année le plus de solidité est celui des Poppys, composé de 17 petits monstres sacrés. Ils ont vendu 2 millions et demi de disques, dont 1 million avec Rien n'a changé.

La chanson continue de se transformer et retrouve des thèmes chers aux Français depuis des siècles : la politique, l'actualité. Elle essaie à nouveau de dire quelque chose, sans toujours avoir la prétention d'apporter un message à l'auditeur. Les temps s'estompent où il suffisait à une idole de paraître en scène en gesticulant, en se roulant par terre, pour que la foule des fans soit en transes.

Johnny Hallyday, après avoir concurrencé en décibels le festival de Royan dans un récital au Palais des Sports (septembre 1971), semble vouloir se lancer dans le cinéma et dans la production de spectacles. Sylvie Vartan promène toujours un visage marmoréen à travers la chanson, et Sheila continue d'alimenter la presse du cœur. Françoise Hardy tâte de l'érotisme (Poisson), mais se consacre à l'astrologie. Seul Claude François, grâce à ses dons de danseur, garde la totale adhésion de son public, mais songe à se recycler dans la production d'émissions de télévision.

La chanson politique

Les Français, qui s'étaient passionnés depuis huit siècles pour la chanson politique, malgré quelques adeptes de la chanson dite engagée, semblaient s'en désintéresser. (Seuls, trois cabarets de chansonniers subsistent !) Mais voici que, renouant avec la grande tradition montmartroise, un jeune homme de vingt ans, à la figure d'enfant sage, Thierry Le Luron, déchaîne l'enthousiasme des foules avec un numéro d'imitation. Commencé le 14 février 1972, son succès oblige la direction de Bobino à bousculer tous les programmes suivants pour prolonger le spectacle Le Luron jusqu'au 9 avril. Il imite pêle-mêle les vedettes de la scène, de l'écran, de la politique, chansonné lui-même par son collègue Michel Delpech dans Inventaire 71 : « Un faux Chaban, un vrai Luron — Gérard Nicoud au violon — Et Giscard à l'accordéon. »