Au total, entre la négociation circonstancielle, où chacun cherche le moment approprié et s'appuie sur la conjoncture qui lui est favorable, et la négociation périodique, où l'on se rencontre à terme fixe et où l'on est plus ou moins contraint à un nouvel accord, la France semble s'être engagée dans une autre voie : celle de la négociation permanente.

La négociation permanente n'est pas seulement une effervescence qui multiplie les rencontres durant les périodes agitées. Elle se présente comme une solution à quelques-uns des problèmes majeurs sur lesquels butait traditionnellement la négociation collective en France. Au contrat rigide, à durée déterminée ou non, la négociation permanente substitue le contrat souple contenant assez de mécanismes de rencontres pour permettre de faire face aux circonstances nouvelles.

Aux problèmes de l'engagement et des clauses de paix sociale, elle oppose une souplesse qui rend inutiles les précautions extrêmes de départ ; par la consultation fréquente liée à la négociation, elle permet de créer une jurisprudence, des règles communes, en évitant de recourir aux procédures lourdes ou inefficaces de la conciliation ou de l'arbitrage.

Souple, ce nouveau système est aussi fragile. Il ne comporte que peu de garde-fous extérieurs : pas de recours aux tribunaux, pas de limitation du droit de grève, pas d'intervention immédiate des pouvoirs publics. L'expérience a montré, à l'évidence, les multiples occasions de grippage ; les rencontres fréquentes peuvent être l'occasion d'une perpétuelle remise en cause, faciliter les interprétations abusives qui conduisent à l'incohérence. Reste qu'aucun système de relations professionnelles ne peut se passer d'un ingrédient de base : la bonne foi des parties.

Radicalisation des luttes

Séquestration des cadres, occupation des bureaux de la direction ou de locaux stratégiques (ici le standard téléphonique, là la salle de l'ordinateur), destruction du fichier d'embauché, dépôt de préavis de grève chaque jour pour mieux lancer des débrayages surprises, blocage de l'ensemble du processus de production à partir d'un secteur déterminé, réduction spontanée du temps de travail ou des cadences, grèves de la faim, affichage des salaires pour éviter le division... : depuis 1968, les indices de radicalisation des luttes se multiplient.

Le nombre des journées de grèves a diminué en 1970 par rapport à 1969 : 1 700 000 contre 2 200 000, mais les conflits ont été plus nombreux (3 300 contre 2 480) et, surtout, des formes nouvelles de lutte se sont développées : des actions répétées, dispersées, avec des méthodes originales aux limites de la légalité.

Bref, ce n'est plus la guerre des tranchées comme en 1965-66, ni la bataille en ligne comme en 1968, mais la guérilla et le commando. Les états-majors des centrales syndicales accueillent avec réserve les actions, quand ils ne les condamnent pas. Cependant, ils reprennent à leur compte le mécontentement qui s'exprime par la violence, ils le canalisent, lui donnent une expression plus cohérente et l'amplifient. Ils n'ont pas déclenché les hostilités, lancé les mots d'ordre, mais ils organisent les luttes.

Ainsi Georges Séguy déclare : « La grève sauvage, c'est un terme que je réprouve ; la sauvagerie, elle n'est pas chez les ouvriers qui défendent leur niveau de vie, elle est dans l'exploitation capitaliste [...]. L'arrêt surprise d'un petit groupe décidant hors du syndicat et ne consultant pas les autres travailleurs peut entraîner une division entre eux et être exploité par le patron [...]. Quant aux séquestrations de cadres, nous y sommes opposés... ». Plus souple, la CFDT incite à « poursuivre et développer les actions et négociations engagées à tous les niveaux où se situent les centres de décision, à utiliser l'acquis en matière de droit syndical pour faire participer les travailleurs, dans chaque entreprise, à la détermination des objectifs et des moyens d'action les plus appropriés ».

L'action directe est-elle refus ou désir de la société de consommation ? À l'évidence, sa signification n'est pas univoque. Elle est le fait du secteur public (Air France, PTT, Assistance publique, CEA, Renault...) aussi bien que des entreprises privées. Parmi ces dernières, il s'agit aussi bien des branches en expansion ou syndicalement très structurées (CSF, Usinor, Air liquide, Rhodiaceta, Ferodo, CAFL) que de secteurs en déclin ou syndicalement considérés comme sous-développés (Citroën, Boussac, Tanneries du Puy, transports routiers salariés, par exemple).