La négociation interprofessionnelle n'est pas un signe de glissement vers le système scandinave ; elle ne marque pas une volonté de régulation rigoureuse au sommet. Ce n'est peut-être qu'un détour stratégique pour éponger rapidement le contentieux revendicatif du passé et pour faire une démonstration de sérieux et de représentativité au niveau le plus favorable pour les grandes confédérations. Sur un terrain maintenant déblayé, c'est plus vraisemblablement au niveau de l'entreprise que se jouera l'avenir du système français de relations professionnelles.

– La négociation dans l'entreprise.
Les problèmes de l'entreprise passent au premier plan ; des indices nombreux le démontrent. Les mêmes préoccupations sont d'ailleurs apparues dans toute l'Europe occidentale : tantôt sous forme de grèves sauvages bousculant l'ordre établi, tantôt sous forme d'actions locales. Partout, désir identique d'une plus grande maîtrise des salaires et des conditions immédiates de travail (cadences, horaires, primes, droit syndical, nuisances...).

À mesure que diminuent les contraintes de la misère et de l'insécurité, un nombre croissant d'exécutants ne se satisfont plus de trouver dans leur travail un simple moyen de faire face aux nécessités les plus immédiates. L'écho des revendications étudiantes et les résultats atteints dans ce domaine ont singulièrement accru le sentiment de possibilité de revendications spécifiques : le pouvoir a glissé vers l'atelier. Plus encore, la politique de plein emploi a augmenté la sécurité des salariés, qui ont fini par en prendre conscience. La technologie rend plus vulnérables à l'action de groupes restreints un nombre croissant d'entreprises et les dirigeants ont pris l'habitude de préférer le maintien de la production à la défense des prix de revient ; le contexte inflationniste les y engage. On peut user de la grève avec moins de risques ; on peut aboutir au succès, sans l'appui d'un mouvement qui dépasse le simple plan de l'entreprise.

Paradoxalement, le total des accords d'entreprises est jusqu'à présent demeuré fort modeste. Dassault ou Poulain ont sans doute signé des accords significatifs sur la réduction du temps de travail, mais, globalement, le nombre des accords demeure réduit. Le plus souvent, les accords restent officieux et ne portent que sur un point spécifique à la fois : salaires, durée du travail, horaires, participation.

On peut donc se féliciter et s'inquiéter de cette tendance. Se féliciter, car elle est la preuve d'une vitalité de la négociation, d'une souplesse qui permet d'espérer des innovations ; s'inquiéter, car elle montre que les réponses à une question majeure se situent, pour le moment, en marge de notre système de relations professionnelles.

– La négociation de branches.
En mouvement à la fois vers le haut (le CNPF) et vers le bas (l'entreprise), la négociation délaisse-t-elle pour autant la négociation de branches, privilégiée par la loi du 11 février 1950 ?

Conséquence directe de la recommandation commune sur la mensualisation établie par le CNPF et les confédérations ouvrières, le 20 avril 1970, les négociations de branches ont également connu un certain renouveau ; les accords dans les textiles, le caoutchouc, les industries alimentaires, le bâtiment, l'agriculture en témoignent.

Ils portent tous sur la mensualisation, et également sur d'autres garanties sociales. Outre la fréquence et la densité des discussions, l'innovation majeure est peut-être la tendance à la signature de conventions nationales dans les branches qui n'avalent admis, jusqu'à présent, que des accords régionaux ou locaux. (C'était une des traditions les plus solides de l'Union des industries métallurgiques et minières que de défendre le principe d'une négociation locale.) Si les salaires demeurent encore à l'écart de discussions nationales, la durée du travail, la mensualisation, la sécurité de l'emploi ont fait l'objet d'accords nationaux en 1970-71. Des débats sont également envisagés pour une refonte des classifications hiérarchiques.