Le phénomène n'est pas limité à l'industrie ; il concerne aussi le secteur tertiaire et le commerce (Nouvelles Galeries, Hachette, Gibert Jeune, guichetières des CAF). Les salariés sont aussi bien des travailleurs très qualifiés, à la limite de l'artisanat ou des professions libérales (journalistes de la presse parisienne, centres de FPA) que des ouvriers spécialisés (Vitho-Yaourt, manutentionnaires d'Air France...). L'action directe vise aussi bien à provoquer la négociation qu'à la supprimer ; elle marque toujours une forte opposition au patronat et privilégie l'action par rapport à la négociation.

Dans la diversité de ses formes, la radicalisation marque la priorité accordée à la démonstration de force avant que la négociation s'engage. Elle vise donc à renforcer la position de la classe ouvrière dans l'entreprise.

Paradoxalement, la radicalisation trouve son meilleur terrain et donc ses succès aux deux extrêmes de l'évolution technique : dans l'industrie des métiers et dans celle des secteurs automatisés.

Quand les organisations du travail sont peu développées, les ouvriers peuvent aisément exercer une pression physique sur la direction, boycotter les cadences, bref agir sur le travail lui-même. C'est leur qualification qui met les travailleurs à l'abri de la répression et leur confère un statut d'inamovibilité.

Un double isolement (catégories privilégiées, secteurs de travail clés) confère à leur action un caractère corporatif plus qu'anticapitaliste : les journalistes en quête de sociétés de rédacteurs, comme les dockers ou les sidérurgistes barricadés dans la recherche ou la défense d'un statut, manifestent moins leur condamnation du système économique que leur refus du changement.

À l'opposé, si l'on considère le collective bargaining comme un rapport de puissances, il va de soi que celle des travailleurs va en diminuant au fur et à mesure de l'automatisation de la production et de l'impuissance probable de la grève quand le personnel de maîtrise suffit à assurer la continuité de la production. L'action directe n'est plus alors centrée sur l'objet travaillé, mais sur l'organisation du travail. La radicalisation prend appui sur les points sensibles de l'organisation.

Aussi n'est-il pas surprenant que les ouvriers spécialisés de chez Renault ou les pilotes de ligne des compagnies aériennes aient été les responsables des deux conflits les plus spectaculaires du premier semestre 1971.

L'abondante législation adoptée à l'initiative du gouvernement n'est pas l'élément le plus caractéristique de l'activité gouvernementale à l'égard de la vie sociale.

– Le secteur public.
L'intervention de la négociation dans les grandes entreprises publiques constitue, en revanche, un des phénomènes les plus marquants dans l'évolution de la négociation collective. Formellement, l'innovation a été marquée par la signature d'accords à l'EGF, à la SNCF, aux Charbonnages de France, à la Régie autonome des transports parisiens, aux Fours et Potasses d'Alsace.

Sur le fond, la conséquence la plus spectaculaire est d'aboutir à une contractualisation des rémunérations dans le cadre d'entreprises de dimensions nationales équivalentes à celles d'une branche professionnelle entière du secteur privé.

La convention salariale de l'EGF, signée le 10 décembre 1969, détermine le taux d'accroissement de la masse salariale, en fonction à la fois de la production intérieure brute et d'éléments spécifiques de l'entreprise (ses performances et l'évolution de ses effectifs), la part de ces derniers étant, du reste, relativement mineure. Mais la convention définit aussi une politique salariale : une commission paritaire d'application doit constater l'accroissement de la masse salariale, puis le répartir de façon à la fois à maintenir pour tous les agents leur pouvoir d'achat et à l'augmenter en faisant bénéficier d'un accroissement plus rapide les catégories les plus défavorisées.

Les autres conventions de même type conclues en 1969 et 1970 se sont orientées davantage vers la garantie d'une augmentation du pouvoir d'achat durant l'année. À cet effet, elles combinent une augmentation, prévue par étapes, à un taux défini sur la base d'une hausse escomptée de l'indice des prix (2 % aux Charbonnages de France et à la SNCF), et une clause de sauvegarde prévoyant, au cas de hausse plus forte de l'indice des prix, une majoration des salaires égale à la différence entre la hausse effective et la hausse prévue. L'avenant du 9 février 1971 à la convention salariale au Gaz et à l'Électricité de France suit le mouvement en garantissant en tout état de cause une augmentation minimale du pouvoir d'achat de 2,5 %.

Le 20e congrès de la CGC

Le 20e congrès de la Confédération générale des cadres s'est tenu à Paris du 4 au 6 juin 1971. Les courants d'opposition qui avaient provoqué de vives tensions lors des assises de 1969 ont disparu. André Malterre a été réélu sans problème président de la Confédération. La résolution finale définit la position de la CGC dans la « société de demain ». Elle dénonce notamment « les séquestrations de cadres et agents de maîtrise et les sévices qui sont parfois exercés contre eux dans les entreprises ».

Remise en cause

Au-delà de la contractualisation des rémunérations, on assiste ainsi à un mouvement vers la détermination négociée de la politique salariale elle-même.