À cette panoplie, il faut ajouter une décision qui a précédé la Table ronde : à partir du 1er avril 1970, tous les véhicules neufs livrés aux clients français seront obligatoirement munis de ceintures de sécurité.

Sur ces différents points, l'accord se fit rapidement au sein des groupes de travail, comme dans l'opinion publique. Il n'en fut pas de même pour la limitation de vitesse : représentants des constructeurs d'automobiles ou porte-parole de conducteurs épris de vitesse se sont acharnés contre cette mesure. Inaugurant, en octobre, le Salon de l'automobile de Paris, Georges Pompidou avait déjà constaté : « Ce n'est pas la vitesse qui tue, mais la maladresse des conducteurs et le non-respect du code de la route. »

À cette profession de foi s'ajoutent des arguments plus techniques, que l'on peut résumer ainsi :
– On estime que 15 automobilistes sur 100 seulement dépassent les 100 km/h. La limitation de vitesse serait donc inefficace ;
– Elle engendrerait une monotonie de conduite, source d'inattention et de somnolence au volant ;
– Elle augmenterait inutilement la durée des dépassements et les rendrait plus dangereux ; elle constituerait un obstacle à la fluidité du trafic et provoquerait des embouteillages propices aux accidents ;
– Elle serait inapplicable, les forces de l'ordre ne pouvant exercer partout une surveillance efficace ;
– Elle porterait un coup sérieux à l'industrie automobile française et aurait de graves conséquences sur l'évolution technique des véhicules.

Tuerie collective

Autant d'arguments qui furent rejetés, peu convaincants face à l'affolant bilan des accidents de la route, et le triste record remporté par la France. La comparaison entre l'évolution du nombre des morts de 1964 à 1968 en France (+ 22,5 %) et en Grande-Bretagne (– 12 %) montre, en effet, l'impact d'une politique de la sécurité fondé sur la limitation de vitesse et l'emploi de l'alcootest. « Notre nouvelle société, affirmait Chaban-Delmas, ne peut admettre cette tuerie collective à développement constant. » 8 292 morts et 185 000 blessés en 1960, 14 705 morts et 350 000 blessés en 1969. On prévoyait 18 000 morts et 360 000 blessés pour 1970. Avec un coût total, pour le pays, de 12 milliards de francs.

S'ajoutant aux conclusions étrangères, l'expérience de limitation de vitesse tentée en France en 1969 sur 1 500 km de routes (Journal de l'année 1968-69) par l'Office national de sécurité routière fut déterminante : le nombre de morts avait diminué de 28 %.

Longtemps hésitante, l'opinion publique bascula tout à coup. Un sondage de l'Institut français d'opinion publique révélait, le 17 mars 1970, que 82 % des Français et 76 % des automobilistes étaient favorables à la limitation de vitesse. Les derniers scrupules du Premier ministre s'évanouissaient : la limitation de vitesse pourrait se révéler moins néfaste pour l'industrie automobile française que la peur, de plus en plus forte, de mourir sur la route.

Les limitations de vitesse dans le monde

France : 60 km/h dans toutes les agglomérations et expérience de limitation de vitesse à 110 km/h sur 14 000 km de routes nationales à partir de Pâques 1970.

Allemagne fédérale : 50 km/h dans les agglomérations et 100 km/h sur certains tronçons dangereux de routes.

Belgique : 60 km/h dans les agglomérations. Pas de limitation de vitesse sur les autres routes.

Grande-Bretagne : 50 km/h dans les agglomérations et 130 km/h sur les routes et les autoroutes.

Italie : 50 km/h dans les agglomérations.

Japon : 40 km/h dans les grandes villes, 60 km/h sur la plupart des routes, et 100 km/h sur les autoroutes.

Suède : 50 à 70 km/h dans les agglomérations, 90 km/h sur certaines routes, 110 à 130 km/h sur les autoroutes.

États-Unis : 80 à 120 km/h sur les autoroutes et les routes, sauf dans trois États.

Les routes qui tuent

Quelles sont les routes les plus dangereuses ? Réponse de la plupart des automobilistes : les routes à trois voies.

Une enquête de l'Organisme national de Sécurité routière, publiée en avril 1970, nuance cette opinion en mesurant d'une manière assez précise l'importance des risques pour un type de route (fréquence et gravité des accidents).