Indépendamment de cet aspect des choses, le simple fait de visiter un autre monde, fût-il stérile, constituait, en cet été de 1969, un des plus grands événements de l'histoire de l'humanité. Beaucoup l'avaient compris, bien que la facilité apparente avec laquelle s'étaient déroulés les vols précédents eût passablement blasé l'homme de la rue. (Il est remarquable que la revue Time n'ait pas choisi les astronautes comme « les hommes de l'année »).

Le président Nixon avait donné un jour de congé aux fonctionnaires et un peu partout, aux États-Unis, des municipalités, des entreprises privées avaient suivi son exemple. Sur toute la planète, la télévision réalisait le miracle de porter l'événement chez chacun, parfois à des heures incongrues, au hasard des fuseaux horaires.

Nationale 1

Indifférents à l'aspect spectaculaire que prend leur mission, les cosmonautes, qui se sont réveillés à 12 h 4 mn, poursuivent leurs préparatifs et leurs vérifications. À 14 h 47 mn, Aldrin a ouvert les écoutilles du sas qui relie le CM au LM et il est passé dans ce dernier. Armstrong le suit une heure après et les deux hommes se mettent à égrener le compte à rebours qui doit précéder la descente sur la Lune.

La liste épuisée, ils ferment les écoutilles des deux cabines. Houston donne le feu vert pour la descente. La séparation du LM a lieu à 18 h 47 mn : « L'Aigle a des ailes », communique Armstrong (il avait été convenu que, dès la séparation des deux engins et jusqu'à leur réunion, le CSM prendrait le nom de Columbia et le LM celui d'Aigle).

Avant que les deux appareils disparaissent derrière la Lune, on entend une dernière recommandation de Collins à ses camarades : « Suivez bien la nationale 1 ! » Les cosmonautes désignent ainsi une longue rainure du sol lunaire qui constitue l'un des repères sur la trajectoire à suivre lors de l'atterrissage.

À 20 h 7 mn, des manœuvres de freinage faites avec le moteur de descente permettent à Aldrin de placer l'Aigle sur une orbite dont l'apolune et le périlune sont respectivement à 111 et 15 km du sol lunaire. À Houston, on est fort intrigué d'apprendre, à 15 h 16 mn, que Luna 15 a abandonné son orbite pour en décrire une autre ayant précisément un apolune et un périlune de respectivement 112 et 16 km !

À 21 h 4 mn, les astronautes reçoivent le feu vert pour l'atterrissage. L'opération implique un freinage important puisque, à son passage sur le périlune, l'Aigle avait encore une vitesse de 6 000 km/h. L'appareil vole en position horizontale, pattes en avant, lorsque les cosmonautes ont identifié le couloir d'approche, à 380 km du site prévu pour l'atterrissage. Le moteur de descente est allumé.

Brusquement freiné, l'Aigle se trouve désatellisé et, sous le contrôle automatique de l'ordinateur de bord, il s'engage dans la trajectoire de descente, tout en ralentissant et en s'inclinant progressivement, à la recherche de la position verticale. À 6 400 m d'altitude, sa vitesse est encore de 2 900 km/h (miracle de la technique ! c'est Houston qui l'apprend aux astronautes !).

À 2 300 m d'altitude, l'Aigle est passé par la porte haute du couloir, située à environ 8 km du point prévu pour l'atterrissage. Lorsqu'il franchit la porte basse, à 160 m du sol, sa vitesse n'est plus que de 100 km/h. À environ 140 m d'altitude et à quelque 500 m du but, l'équipage reprend la commande manuelle ; on s'apprête à atterrir sur un terrain dangereux, jonché de gros blocs de pierre. Mais le propergol qui reste dans les réservoirs ne peut assurer la sustentation de l'appareil que pendant 75 secondes. Par bonheur, 30 secondes après, seulement, une aire dégagée apparaît !

L'« Aigle » se pose

Les deux hommes, tout en manœuvrant l'engin, doivent renseigner constamment Houston : « Avançons [...] avançons. Tout va bien [...], douze mètres [...], descendons à 2,6 km/h [...]. Nous soulevons un peu de poussière [...]. Glissons à droite... »

Au-dessous des quatre jambes de l'atterrisseur du LM pendent des palpeurs, longs de 1,75 m, dont le rôle est d'avertir le pilote de la proximité du sol, afin qu'il coupe immédiatement les gaz (notamment pour éviter les dégâts que pourraient provoquer le souffle chaud réfléchi par le sol, ainsi que la projection de cailloux). Aldrin, qui ne quitte pas des yeux le voyant bleu que doivent allumer ces palpeurs, s'est soudain écrié : « Signal de contact allumé. Tout va bien. Arrêt du moteur ! » Puis Armstrong confirme « Ici Base de la Tranquillité. L'Aigle a atterri. » Cela s'est passé le 20 juillet 1969 à 21 h 17 mn 41 s, dans la mer de la Tranquillité, par 23° 37′ E et 0° 41′ N, à 6,5 km du point fixé par la NASA.