Les chambres sociales seront créées au niveau des tribunaux de grande instance. Autour d'un magistrat du siège, elles comprendront quatre assesseurs, dont deux représentants des salariés et deux représentants des employeurs, tous nommés pour trois ans et renouvelables — les assesseurs, qui ne pourront être membres d'une autre juridiction, notamment des prud'hommes —, seront désignés par tirage au sort à partir de listes présentées par les syndicats les plus représentatifs.

Les chambres sociales, compétentes pour tous les litiges nés de l'application des textes relatifs aux comités d'entreprise, aux délégués du personnel et aux sections syndicales d'entreprise (y compris des litiges relatifs au licenciement et à la résolution judiciaire du contrat de travail), auront le pouvoir, au civil, soit de condamner au paiement de dommages et intérêts et d'amendes civiles, soit de prononcer des injonctions avec, éventuellement, des astreintes, le juge ayant notamment toute latitude de prononcer des réintégrations. Des dommages et intérêts pourront être également alloués aux organisations qui se seraient portées partie civile.

Si, aux yeux du gouvernement, le projet apporte deux améliorations considérables (la première en créant une procédure rapide, peu coûteuse, proche de la procédure du référé ; la seconde en donnant aux chambres les pouvoirs les plus larges pour réprimer toute atteinte au statut des délégués), pour les syndicats il s'agit d'un projet à la fois limité (il ne concerne que les seuls délégués) et ambigu, dessaisissant l'inspection du travail d'une partie de ses prérogatives. En pointillé s'expriment des craintes contre le corps social des magistrats, jugé trop réactionnaire.

Le patronat et les syndicats se « restructurent »

À l'occasion de leurs congrès, les grandes centrales syndicales et la Confédération du patronat français ont été amenées chacune pour leur compte à modifier leurs structures. Ces changements, parfois profonds, qui interviennent pratiquement de façon simultanée, témoignent, semble-t-il, des modifications qui s'opèrent dans la société française et qui modifient les schémas classiques des relations sociales.

Le CNPF

« Si, à l'origine, l'organisation patronale a eu pour vocation première d'assurer la représentation et la défense des intérêts des adhérents groupés en fonction du critère du métier ou du marché, de nos jours l'organisation patronale est d'abord appelée à participer d'une manière active au développement économique et social de la nation. » Ces premières lignes du rapport de Georges Matheron, président de la Commission de réforme du CNPF, sont significatives. L'impact de cette affirmation devait amener une modification de l'article 2 des statuts du CNPF lors de l'assemblée générale du 28 octobre 1969 : désormais, le CNPF est moins une organisation de patrons exerçant des professions que le lieu de concertation de dirigeants d'entreprises exerçant une fonction.

Quatre grands thèmes

Depuis les événements de mai 1968 qui ont contraint le président Paul Huvelin à engager, pratiquement sans mandat, les organisations patronales lors des accords de Grenelle, la réforme du CNPF est à l'ordre du jour. Et, sans doute, tout ne date pas de mai 1968 : les Jeunes patrons — devenus Jeunes dirigeants (CJD) — et le CFPC (Centre français du patronat chrétien) luttent depuis plusieurs années pour l'aggiornamento. Plus récemment, le discret GEROP (Groupe d'études pour la réforme de l'organisation patronale), animé par A. Bénard (Shell), J.-L. Descours (Chaussures André), F. Dalle (L'Oréal), jeunes turcs du CNPF cooptés à son bureau au lendemain des grèves de 1968, et le CNDE (Centre national des dirigeants d'entreprises), dirigé par José Bidegain (Fédération de la chaussure), ont incité eux aussi a la reforme. GEROP et CNDE ont fusionné depuis pour former une nouvelle association patronale : Entreprise et Progrès.

Quelque peu freinée par les représentants des grandes fédérations professionnelles, notamment ceux de l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM), peu désireux de voir modifier une situation qui leur laissait l'autonomie la plus totale au sein du CNPF, la réforme est construite autour de quatre grands thèmes :
– Ouverture vers l'extérieur (opinion, pouvoirs publics, syndicats) et surtout vers les chefs d'entreprise jusque-là court-circuités par le double filtre des fédérations et des chambres syndicales d'associations patronales ;
– Renforcement de l'autorité du CNPF. Point capital aux yeux des réformistes les plus convaincus, qui souhaitaient la transformation du Conseil (association selon la loi de 1901) en Confédération (suivant la loi syndicale de 1884). Ce chapitre de la réforme est pourtant le plus timide : rien de semblable à la CBI britannique ou à la BOI allemande. Né sous forme d'un Comité de liaison au lendemain de la Libération, le CNPF le demeure. Le nouvel article 2 des statuts met, certes, l'accent sur « la cohésion indispensable » et définit une « politique de développement des entreprises ». Mais il prévoit explicitement que « le domaine des salaires relève des entreprises et de leurs organisations professionnelles » et le financement du CNPF reste inchangé. Il dépend toujours des contributions reversées par les fédérations, qui perçoivent les cotisations directement auprès des entreprises (le CNPF ne reçoit en définitive que 3 à 4 % du total des cotisations patronales) ;
– Développement des instances interprofessionnelles, jugées à la fois plus fonctionnelles pour les problèmes généraux, comme ceux de l'emploi, de la formation, de la recherche, de l'information, et plus aptes à dégager l'intérêt général en confrontant les intérêts divergents des professions ;
– Participation accrue des adhérents : le président du CNPF est désormais élu pour trois ans par l'assemblée générale. La plus haute autorité du patronat, avec le conseil exécutif, prend désormais appui sur l'instance la plus largement représentative : Le mandat n'est renouvelable qu'une fois, pour favoriser la rotation des hommes aux commandes. L'Assemblée permanente remplace l'ancien comité directeur. Elle se réunit une fois par mois pour prendre les décisions essentielles. Toutes les fédérations du CNPF y sont représentées. Innovation importante : cette assemblée peut engager ses membres sur un point précis (la conclusion d'un accord avec les syndicats).