Derrière eux, c'est un étrange néant, dont il faut bien extraire le fameux Théorème, de Pasolini, qui a fait couler beaucoup d'encre. Théorème, par son thème provocateur et scandaleux, est le premier film de Pasolini qui trouve vraiment son public. Mais il n'est pas certain que ce film puisse passer pour la meilleure œuvre d'un auteur plus inspiré dans l'Évangile selon saint Matthieu ou même Œdipe-Roi.

Quant au Roméo et Juliette de Zeffirelli, il a su séduire les amateurs de belles images. Pourtant, un certain parti pris d'esthétisme, le soin extrêmement remarquable avec lequel ont été choisis les costumes et brossés les décors ne remplacent pas un certain manque de force shakespearienne. Castellani, il y a quinze ans, avait, avec des moyens plus modestes, réussi à convaincre davantage.

Il faut saluer le talent mineur de Gian Vittorio Baldi dans Fuoco, celui de Samperi dans Grazie zia ! et ne pas omettre la personnalité inclassable de Carmino Bene, dont Notre-Dame des Turcs et Caprices, après avoir séduit les jurés des Festivals, risquent bien de diviser le public avec autant d'âpreté qu'un Jean-Luc Godard.

Europe centrale et URSS

Il y aurait en URSS, selon certains observateurs, quelques films remarquables qui attendent un visa de sortie et moisissent au fond d'un placard. On commençait à douter de cette légende en assistant de temps à autre à des projections de films soviétiques plus académiques, plus mornes, plus plats que les pires produits de l'époque stalinienne. La rafraîchissante œuvrette du Géorgien Otar Iosselani, la Chute des feuilles, apparaissait sur nos écrans comme l'oasis au milieu du désert.

Vint le Festival de Cannes et, hors compétition, Andrei Roublev, d'Andrei Tarkovski, dont la sublime beauté, digne d'Ivan le Terrible, fut l'événement majeur d'un festival assez estimable par ailleurs. Le film de Tarkovski a attendu plusieurs années cette consécration. Reste à savoir si le public pourra prochainement applaudir l'une des fresques les plus fascinantes de ces vingt dernières années.

En l'absence — volontaire — de l'URSS, les pays d'Europe centrale continuent sur leur lancée. La Pologne semble revenir au premier plan avec une œuvre profondément émouvante de Wajda consacrée à l'acteur tragiquement disparu Zbigniew Cybulski, Tout est à vendre.

Leader incontesté

La Tchécoslovaquie ne semble pas marquer le pas, au cinéma du moins. Jiři Menzel n'a pas déçu ses admirateurs en adaptant avec nonchalance et humour un roman de Vančura, Un été capricieux ; Jasny doit une bonne part du succès de sa Chronique morave à l'opérateur Kučera ; Jaromil Jireš a donné une excellente adaptation du roman de Kundera la Plaisanterie. Le Slovaque Jakubiskó, dans son film fougueux, les Déserteurs et les nomades, oscille entre le baroque et le surréalisme.

Les Hongrois forment une école très homogène derrière leur leader incontesté Miklos Jancsó. L'année 1968 aura permis de voir Rouges et Blancs, Silence et Cri et Ah ! ça ira, et désormais l'exceptionnelle maîtrise de Jancsó n'est plus un secret pour personne. Il s'agit là de la personnalité la plus puissante du cinéma depuis la découverte des Bergman, Antonioni et autres Losey.

Le film Père d'Itsván Szabo, tout comme le Cati de Martá Meszaros, auraient mérité mieux que ce passage furtif dans les salles spécialisées. Les films seront redécouverts plus tard ; c'est le lot, hélas ! de nombreuses œuvres qui ne peuvent être lancées à grand fracas publicitaire.

Suède

Les années passent, Ingmar Bergman reste. À chaque nouvelle saison son Bergman. Celui de 1968-69, la Honte, est une réflexion angoissée sur la guerre. Comme toujours, l'austérité est de mise et le génie une fois encore est au rendez-vous. L'œuvre est difficile, quoique moins abstraite que Persona et moins fantastique que l'Heure du loup. Elle a le mérite de compléter le portrait de son auteur en abordant un thème qui semblait jusque-là lui être assez étranger.

Derrière Bergman, les deux dauphins semblent être Jan Troell (Ole Dole Doff) et Bo Widerberg, qui remporta à Cannes le prix spécial du jury avec Ådalen 31, dont la sensibilité et le style impressionniste s'apparentent à son film précédent, Elvira Madigan, bien que le sujet soit différent (une grève en Suède en 1931).

Autres pays

On assiste au renouveau de certains pays autrefois riches en talents, puis tombés dans une longue médiocrité, comme l'Allemagne. Schloendorff, malgré le demi-échec de son Michael Kohlhass, Jean-Marie Straub (Petite Chronique d'Anna Magdalena Bach), Alexander Kluge (les Artistes sous le chapiteau : perplexes) et Peter Fleischman (Scènes de chasse en Bavière) sont des personnalités de premier plan.