Patiemment choisis depuis cinq ou six mois, par élimination, les 1 512 délégués au Congrès sont en majorité des hommes nouveaux, maoïstes. Pour un tiers, des militaires. La quasi-totalité des délégations sont conduites par des hommes liés à l'armée. Les trois quarts du Présidium du congrès sont de nouveaux membres du parti. Ainsi tout peut se passer comme prévu : la destitution de Liu Shao-chi est confirmée, de même que la désignation comme dauphin officiel de Lin Piao, dont le long rapport annonce l'avenir de la Chine maoïste.

À l'unanimité, les délégués annulent l'ancienne Constitution du parti et adoptent la nouvelle que Mao sort de sa manche. Son nom y est associé à ceux de Marx et de Lénine, ses pensées y deviennent officiellement la Bible orthodoxe des générations communistes présentes et futures, et surtout la structure du nouveau parti (qu'il a lui-même imaginée) lui permet de ne plus en perdre le contrôle.

Les dirigeants de ce nouveau parti, élus par le Congrès, sont, pour la plupart, des maoïstes. Le pilier du régime, l'armée, est largement représentée. Sur les 279 membres du nouveau comité central (dont 109 suppléants), il y a une centaine de militaires. Leur chef, Lin Piao, s'exerce au pouvoir dont il doit hériter.

L'armée est également présente parmi les 25 membres du bureau politique élus aussitôt après le congrès par le comité central. On y retrouve, avec quelques inconnus sûrs, les fidèles qui entouraient Mao à la tribune de Tien An Men le 1er octobre précédent. En sont éliminés les économistes Chen Yun et Li Fu-chun et le ministre des Affaires étrangères Chen Yi, souvent critiqué pendant la Révolution culturelle.

À la tête du parti, le comité permanent ne comprend plus que cinq membres au lieu de sept. Ou plutôt deux et trois : Mao et Lin Piao, d'abord, et, sur un pied d'égalité, Chou En-lai, Chen Po-ta et Kang Sheng. Le Premier ministre Chou n'est plus vraiment le no 3.

Voilà donc le parti communiste rénové. Restent les institutions de l'État auxquelles Mao et son équipe devront s'attaquer ensuite. Normalement, c'est au président de la République Liu Shao-chi (il a été destitué seulement par le parti) qu'on devrait demander de convoquer l'Assemblée nationale si l'on veut réformer la Constitution actuelle, inspirée du modèle soviétique. Mais sans doute se passeront-ils de lui.

En dehors du parti, à l'intérieur du pays et à l'extérieur, tous les efforts de Mao tendent vers la même reprise en main.

À l'intérieur, des luttes, parfois sanglantes, contre les antimaoïstes n'ont pas cessé, la réforme de l'enseignement se poursuit dans une sorte d'anarchie anti-intellectuelle servant les desseins de Mao, qui pousse les familles à envoyer leurs enfants à la campagne pour en faire des paysans (les récoltes accrues doivent compenser le frein mis par la Révolution culturelle à la croissance économique).

Fin décembre 1968, au lendemain de son 75e anniversaire, Mao fait claironner une nouvelle victoire : l'explosion de la huitième bombe atomique chinoise, une bombe H, sans doute miniaturisée, qui laisse supposer un progrès sensible après l'annonce officieuse, en juillet, de la construction d'un premier missile intercontinental, qui pourrait bientôt placer un petit satellite sur orbite.

2 milliards d'exemplaires

L'une des armes majeures utilisées par Mao pour diriger la Chine est la diffusion gigantesque de ses œuvres. Voici les chiffres de tirage depuis le début de la Révolution culturelle en août 1966, chiffres arrêtés au 1er janvier 1969 :

Poèmes : 96 millions

Œuvres choisies en 4 volumes : 150 millions

le Petit Livre rouge (citations) : 740 millions

Tirage total (brochures comprises) : 2 milliards.

La seule imprimerie de Chine nouvelle, à Pékin, a sorti de ses presses, depuis 1966, plus d'exemplaires qu'il ne s'en était imprimé dans le pays tout entier pendant les années qui ont précédé la Révolution culturelle.

Rupture des contacts à Varsovie

À l'extérieur, Pékin note sans broncher qu'en novembre 1968 l'ONU, pour la 17e fois depuis 1950, refuse d'admettre la Chine communiste. Avec un scrutin rendu plus défavorable encore par le vote hostile ou l'abstention de plusieurs pays africains : la diplomatie chinoise perd à nouveau du terrain. De même qu'elle rate la tentative de rapprochement avec les États-Unis, amorcée pour gêner Moscou avant la grande négociation soviéto-américaine.