Mais les milieux professionnels et les épargnants crurent à l'intervention, voire à la manipulation. Ils étaient hantés par le souvenir des deux hausses précédentes brutales, qui furent sans lendemain, en décembre 1965-janvier 1966 et en octobre-décembre 1966. Ils n'avaient pas conscience du retard des valeurs françaises par rapport aux valeurs européennes mesuré par rapport aux cours les plus élevés de 1961-62.

Les facteurs économiques

Durant le second semestre de 1967, il s'est manifesté en France une sorte d'indifférence pour un ensemble de mesures à l'effet positif et cumulatif, pourtant prévisible, prises de façon échelonnée par le ministre de l'Économie et des Finances, Michel Debré : exonération dans la limite de 500 F des intérêts obligataires ; institution d'une taxation libératoire à 25 % du produit des valeurs à revenu fixe ; mesure fiscale en faveur des engagements d'épargne à long terme et en faveur de l'assurance vie ; renforcement de l'effort dans le sens d'une meilleure information des actionnaires avec la création de la Commission des opérations de Bourse par une ordonnance du 28 septembre 1967.

La vérité est peut-être que la Bourse, souvent, ne se préoccupe pas de facteurs boursiers, mais de facteurs économiques et monétaires. Elle ressentait le danger de la prolongation de la déflation, sans prévoir encore la reflation qui allait être prochaine, et demeurait dans le désabusement. C'était peut-être aussi que ses meilleurs éléments avaient pris l'habitude d'effectuer des études comparatives de valeurs françaises, européennes et américaines : elles montraient la faiblesse anormale des marges bénéficiaires françaises, eu égard à celles des autres pays, l'insuffisance de l'auto-financement et l'alourdissement de l'endettement qui en résultaient.

Simultanément, le public informé se préoccupait des vicissitudes des devises de réserve, qui, dès novembre, provoquent un sauve-qui-peut de la zone sterling et du dollar, incitent certains à l'achat de mines d'or et d'autres, plus nombreux, à garder de l'argent placé à court terme.

Progression des françaises

L'intensification des crises monétaires au début de 1968, en revanche, va concourir à susciter un intérêt accru pour les valeurs françaises, parce que le franc français, considéré comme un refuge au même titre que le Deutsch Mark et le franc suisse, n'est pas disponible sur les places étrangères et que les valeurs cotées à Paris peuvent seules conférer la protection française, estimée alors comparable à celle d'un placement suisse ou allemand.

Il y a d'autres raisons, peut-être plus essentielles, qui ont concouru à faire progresser la place de Paris du début janvier jusqu'au 10 mai, et cela sans artifice. Il ne s'agit pas d'intervention : de fait, le volume des échanges en actions françaises, en quatre mois, marque un gonflement de 108,5 % par rapport à la période correspondante de l'année précédente, cependant que la capitalisation boursière, à 97 249 millions, se révèle en progression de 14,1 % en quatre mois.

Des raisons techniques avaient joué. La stabilité des cours en novembre et décembre avait donné rétrospectivement des allures de consolidation au recul d'octobre. Les résultats des sociétés pour l'année 1967, annoncés les premiers par les banques au début 1968, se montraient très supérieurs à ce qui était attendu. Des négociations, qui allaient lentement aboutir, s'ouvraient pour donner aux investisseurs allemands l'équivalent des avantages que conférait l'avoir fiscal aux porteurs français.

L'élan ne se dément pas

Le motif fondamental de la reprise a été la décision du ministre des Finances, au début de 1968, de réinjecter les crédits accrus dans l'économie, de rattraper le retard par rapport aux prévisions du Plan. L'épargne reprend goût à l'investissement mobilier, sans se laisser impressionner par les grèves des employés de la Bourse de Paris en janvier et février.

De la réouverture de la Bourse, le 22 février, jusqu'à la suspension des cours le 10 mai, faute de transmission des ordres, l'élan de la Bourse ne s'est pas démenti. Il n'a pas eu besoin d'être stimulé par les offres publiques d'achat comme celles qui ont joué un rôle de diversion psychologique comparable à celui des faits héroïques accompagnant les grandes défaites de l'histoire romaine.