Journal de l'année Édition 1968 1968Éd. 1968

Conjoncture économique

De la reprise économique à la crise de mai

L'économie française a connu, en 1967-68, de fortes secousses, qui ont bouleversé les prévisions, obligé les gouvernements a des actions plus ou moins improvisées et, finalement, conduit à des résultats décevants.

Deux ans et demi après son lancement, c'est-à-dire à mi-parcours, le Ve plan (1966-1970) apparaît ainsi compromis. Après les élections de juin 1968, le gouvernement a d'ailleurs envisagé de le transformer profondément. La récession économique en Europe au 1er semestre 1967, la crise monétaire internationale au 2e semestre 1967, enfin l'explosion sociale inattendue du printemps 1968 ont dominé cette période mouvementée, dont les effets retentiront encore pendant longtemps.

Il en a résulté que la France n'a pas pu respecter intégralement, au 1er juillet 1968, l'échéance de la suppression complète des barrières douanières dans le Marché commun. Au moment où elle allait toucher au port, une brutale tempête l'a empêchée d'accoster.

Un mauvais départ

L'année 1967 avait déjà déçu, bien qu'elle se fût achevée beaucoup mieux qu'elle n'avait commencé. Rarement, les experts du ministère des Finances s'étaient trompés à ce point dans leurs prévisions. Ils avaient prévu une expansion de la production de 5,3 % ; elle ne fut que de 4,4 %, soit une erreur de 5 milliards de francs.

Par rapport aux objectifs du plan (5 % par an), le retard était sensible, surtout pour la consommation des particuliers, c'est-à-dire le niveau de vie de chaque Français, qui augmentait moins vite que prévu, et pour les échanges extérieurs, qui se développaient trop lentement.

Par contre, les investissements augmentaient plus vite que prévu, mais cela était dû à un effort tout particulier du secteur public, alors que les entreprises privées s'équipaient beaucoup moins qu'il ne l'aurait fallu. Au total, une année d'autant plus médiocre qu'on l'avait espérée plus belle. Pourquoi ?

Les difficultés avaient d'abord été mises sur le compte des voisins. Non sans raison. Quand l'Europe va mal, la France ne peut plus être bien portante. C'était, sans doute, la première fois que cette solidarité se manifestait d'une façon aussi sensible. La récession en Allemagne ne pouvait pas épargner la France, dès lors que ce pays était devenu notre principal client et notre premier fournisseur.

Cela expliquait la langueur de nos exportations ; encore que les Italiens se défendent mieux que nous dans le même contexte. Les industriels français faisaient ainsi la preuve de leur manque d'agressivité commerciale. L'Allemagne avait bon dos. Le gouvernement finit par admettre qu'on ne pouvait pas attendre son bon plaisir et qu'il y avait lieu de stimuler cette économie languissante.

Reprise difficile

L'alerte est donnée au début de l'été 1967, lorsqu'un « clignotant » s'allume pour indiquer que la production industrielle prend un dangereux retard, tandis que l'on évite, in extremis, le déclenchement du signal d'alarme que tout le monde attendait, du côté du commerce extérieur.

Les pouvoirs publics sont d'autant plus embarrassés que, dans cette conjoncture maussade, ils administrent aux Français l'austère potion de la réforme de la Sécurité sociale : cotisations augmentées, prestations diminuées. Ce n'était vraiment pas de nature à ramener l'optimisme. Aussi le gouvernement prend-il quelques mesures de relance en juin, puis en septembre : anticipation des augmentations de salaire dans la fonction publique ; facilité pour les ventes à tempérament ; abattement de 100 F sur l'impôt sur les revenus (lorsque cet impôt n'excède pas 1 000 F) ; retard dans la perception des impôts ; crédits supplémentaires pour la construction.

Pendant ce temps, la conjoncture se retourne en Allemagne, ce pays passant avec une égale rapidité de l'expansion à la crise, puis de la crise à l'expansion. Cela stimule les marchés extérieurs, et les exportations françaises progressent durant le second semestre 1967 à un rythme annuel de l'ordre de 20 %. C'est le moteur principal de la reprise, et la production industrielle prend un rythme de croissance qui, calculé en taux annuel, se situe entre 6 et 7 %. Toutefois, les derniers mois de l'année ne sont pas euphoriques pour deux raisons : la persistance du chômage et la crainte de la hausse des prix.