Journal de l'année Édition 1968 1968Éd. 1968

L'année 1967 restera celle où les Français ont repris peur du chômage. Cela apparaît clairement dans une enquête réalisée par l'Institut national d'études démographiques : alors que, de 1955 à 1965, le nombre des Français déclarant craindre une crise de chômage oscillait, bon an, mal an, autour de 50 %, il passe brusquement à 75 % en 1967. Il est vrai que le nombre des chômeurs s'était brutalement accru ; moitié plus en douze mois, pour dépasser 400 000 à la fin de l'année.

Le phénomène inquiète d'autant plus que la reprise de la production, à partir de l'été, n'entraîne nullement une résorption du chômage ; celui-ci continue de croître, à un rythme moins rapide, mais de croître tout de même. Cela ne crée pas un climat favorable à la reprise de la consommation, de nombreux travailleurs s'efforçant de mettre de l'argent de côté pour d'éventuels mauvais jours.

Inquiétudes

Pourquoi l'expansion n'a-t-elle pas réduit le chômage ? Deux raisons semblent expliquer cette anomalie. D'une part, l'économie a des réserves de productivité lui permettant de produire plus, sans embaucher de travailleurs supplémentaires ; d'autre part, les emplois offerts sont de moins en moins adaptés aux qualifications des personnes en quête de travail. « La main ne rentre pas dans le gant. »

En même temps que persiste l'inquiétude sur l'emploi, une autre préoccupation apparaît du côté des prix. Le « clignotant » d'alerte s'allume de ce côté, tandis qu'il s'éteint pour la production. Les mesures d'austérité prises par le gouvernement (hausse des tarifs publics et réduction des remboursements de la Sécurité sociale) entraînent une hausse mécanique du coût de la vie (ce qui ampute le pouvoir d'achat et, par là, contribue à freiner la consommation).

À cela vient s'ajouter l'échéance du 1er janvier 1968, date à laquelle doit être généralisée la nouvelle taxe sur le chiffre d'affaires, la TVA, à tous les commerçants. On craint que ceux-ci ne saisissent l'occasion pour faire danser les étiquettes.

Enfin, dernière cause d'inquiétude, la crise monétaire relancée par la dévaluation de la livre sterling en novembre.

Éclaircie avant l'orage

L'année 1968 commence donc dans un climat psychologique peu tonifiant, bien que, objectivement, l'économie française se porte mieux que six mois auparavant.

Peu à peu, cependant, le ciel s'éclaircit. La TVA n'a pas entraîné la hausse des prix redoutée (1 % en janvier, puis plus rien en février-mars). Le gouvernement, rassuré de ce côté, prend fin janvier de nouvelles mesures pour accélérer l'expansion (notamment des allégements fiscaux). La crise monétaire a effectivement rebondi en mars, mais sans entraîner — du moins dans l'immédiat — le cataclysme redouté, l'annonce des négociations sur le Viêt-nam venant, fort opportunément, jeter un peu de cendres sur le feu de la spéculation contre le dollar.

Le printemps allait mériter son nom : brillante percée des ventes à l'étranger ; accélération de l'expansion ; stabilité des prix. Un seul point noir : le chômage, qui ne recule toujours pas. Ce qui est préoccupant, mais ne va pas sans quelques avantages appréciés discrètement par le patronat et le gouvernement : les syndicats se tiennent tranquilles. Début mai, le calme règne à Paris. Pas pour longtemps.

À la hâte

La crise étudiante fait l'effet d'un véritable détonateur qui provoque une explosion dans tout le corps social. Bousculant leurs états-majors syndicaux, qui n'avancent pas assez vite, les salariés occupent les usines. On n'avait pas vu cela depuis 1936.

Après coup, il est toujours possible de trouver l'explication d'une crise que personne n'avait vu venir. C'est ainsi que, par l'effet combiné d'une hausse modérée des salaires et d'une hausse plus rapide des prix, le pouvoir d'achat des salariés n'a augmenté que de 0,7 % entre l'été 1967 et le printemps 1968 ; c'était une des plus faibles améliorations du niveau de vie enregistrées depuis dix ans. Une source de mécontentement très concrète venait s'ajouter à la peur du chômage et au sentiment d'être traités comme des objets dans la vie de l'entreprise.