Journal de l'année Édition 1968 1968Éd. 1968

Ces lois permettent à McLuhan de distinguer quatre époques dans l'histoire humaine : l'ère orale, avant la lecture, âge d'or et paradis perdu ; l'ère scribale, du ve s. av. J.-C. à la fin du Moyen Âge, où lire c'est encore lire à haute voix ; l'âge de l'imprimerie, qu'il dénonce dans la Galaxie Gutenberg ; l'ère des moyens de communication électriques, qui mettent de nouveau en jeu la totalité des sens.

Pour McLuhan, l'alphabet et l'imprimerie ont réduit la perception au champ visuel, stabilisé mais figé la langue, instauré l'obsession de la grammaire, limité le déroulement de la pensée à un mouvement linéaire, provoqué le divorce entre l'intelligence et la sensibilité. La « galaxie électrique », au contraire, restaure la richesse sensorielle primitive, livre l'homme à une constellation de sensations, lui fait retrouver le sens du possible et du sacré. Et en frontispice de ces nouvelles formes d'expression, Mc Luhan érige l'œuvre la plus ambitieuse et la plus systématique d'une époque dont le langage retourne déjà au chaos, le message prophétique d'un écrivain qui a pris appui sur les formes médiévales pour atteindre à l'écriture absolue, le Finnegans Wake, de Joyce.

Poésie

Si l'année qui vient de s'écouler ne semble pas exceptionnelle, le catalogue de la production poétique n'incite pas, pour autant, au pessimisme.

Première victime lors de la disparition d'une revue, la poésie a effectivement reçu un coup sensible avec la mort du Mercure et des Cahiers du Sud, mais aux publications déjà signalées (Journal de l'année 66-67), il convient maintenant d'ajouter l'Éphémère, la Délirante, ou encore Actuels (revue où la typographie fait honneur au texte) et les Cahiers du Chemin. Il faut noter aussi que des éditeurs ouvrent à la poésie des collections neuves : Grasset, Bourgois, Flammarion...

Les « poche »

Orientée depuis peu vers le livre de poche de poésie, la politique de l'édition a trouvé là un terrain relativement favorable. Opération dont l'efficacité reste encore incertaine pour lancer de jeunes auteurs (c'est la tentative de P. J. Oswald), la publication en poche d'un fonds d'auteurs contemporains dont les noms au moins sont connus du public peut être un succès de librairie. Les poèmes d'Eluard publiés chez Hachette en furent un exemple, et aujourd'hui la vogue de la très belle collection Poésie/NRF, qui, à raison d'à peu près deux titres par mois, a entrepris de nous offrir pratiquement tout un demi-siècle de création poétique, de Breton à Jouve, de Char à Audiberti, de Cocteau à Tzara, de Cendrars à Tardieu.

Chez Seghers, les poètes d'aujourd'hui s'enrichissent enfin d'Albert-Birot et de Gustave Roud, en même temps qu'ils font place à Cassou, Clancier et Alain Grandbois.

Il faut remarquer des rééditions importantes, qui se placent au premier rang de l'actualité, soit qu'elles nous restituent des œuvres devenues introuvables, soit que les auteurs procèdent, à la faveur du rassemblement d'un certain nombre d'ouvrages publiés séparément, à une mise à jour, à un premier bilan.

Avec la réédition de Plupart du temps et du Voleur de talan, c'est la moitié de l'œuvre de Pierre Reverdy qui nous est enfin rendue, depuis si longtemps épuisée chez divers éditeurs. Trop oublié, même par l'histoire littéraire, Pierre Albert-Birot venait seulement, à la veille de sa mort, de réunir la première partie de ses Poésies, dans lesquelles, cinquante ans plus tard, l'avant-garde peut encore se contempler. Souhaitons que, de Claude Sernet, qui vient de disparaître, on regroupe les œuvres essentielles, comme on vient de nous donner des Poèmes choisis d'Ilarie Voronca, autre poète français d'origine roumaine.

Parmi les écrivains dont l'œuvre prend peu à peu sous nos yeux ses dimensions et se dessine plus précisément, il faut citer Jean Malrieu, qui a groupé en édition de poche deux livres importants, Nom secret et la Vallée des Rois, ainsi qu'Alain Bosquet, avec Quatre Testaments, où prédominent les délires surréalistes dans un langage syncopé, telle la perpétuelle contestation de la poésie même et du monde où elle s'écrit.