Livre brillant, livre précieux aussi, le Rosa de Maurice Pons. Pastiche d'une chronique située dans une petite principauté d'opérette vers la fin du siècle dernier, charge amusante écrite avec une élégante maîtrise, et en même temps apologue qui laisse le lecteur un instant mystifié, mais lui fait entrevoir que, selon le mot d'ordre hippy, il n'est point mauvais qu'une armée préfère faire l'amour à faire la guerre.
Couronné par le prix des libraires, les Choses de la vie sont sans doute le meilleur roman de Paul Guimard. Un accident de voiture raconté avec une sorte d'objectivité technique magistrale, et puis la méditation d'un homme d'une quarantaine d'années, arrêté vers le milieu du chemin de la vie, qui pense aux choses qu'il a goûtées. Un exact dosage de tendresse, d'humour et de secrète atrocité aussi, un livre grave qui a la pudeur de ne jamais peser.
La peinture de mœurs
Le roman va ainsi un peu dans toutes les directions, on le voit, et il est impossible de parler d'une école du roman français contemporain. Un trait à retenir, c'est peut-être le retour de ce roman à son domaine traditionnel, celui de la peinture des mœurs. Mais, bien entendu, c'est un retour adapté aux goûts de l'époque. Point de grande construction avec personnages types et situations dramatiques poussées comme dans tel ou tel volet de Zola, mais une sorte de microsociologie de la société de consommation. Cela se trouvait déjà dans les Choses, de Georges Pérec, cela se trouve dans Un jeune couple, de Jean-Louis Curtis, dans le Mief, de François Sonkin, dans l'Addition, de Lionel Chouchon, et dans bien d'autres livres.
Le Matrimoine, d'Hervé Bazin, qui a été le plus grand succès romanesque de l'année, est encore un roman de mœurs classique et, qui plus est, un roman de mœurs provinciales. C'est, mené avec un talent vigoureux, mais point trop regardant et qui ne dédaigne pas les effets vulgaires, un constat de mariage au cours des années dans une société où l'autorité femelle prend le pas sur la masculine. Tout est dit, tout est peint à petites touches précises, et la force des choses, comme disait Simone de Beauvoir, se fait sentir plus que la force d'âmes. Jean-Louis Curtis, retrouvant la veine et la manière de la Quarantaine, choisit un jeune couple qui s'installe au cœur de la société d'abondance avec de petits moyens financiers. Le garçon est de bonne race, la fille avide et frivole, dupe de tout ce que notre petit monde fait briller à ses yeux, et c'est de la force (ou de la faiblesse) de l'amour que les choses viennent ici à bout. Curtis a l'œil terrible de la satire, une merveilleuse légèreté dans l'humour, il n'utilise pas de clés, mais il ne dédaigne pas les portraits presque ressemblants d'individus et de types.
Ailleurs (Guimard, Chouchon...), c'est l'homme de la quarantaine, le cadre qui ne veut pas se laisser encadrer par un monde de jouissance bornée, que l'auteur étudie surtout. Nous nous reconnaissons dans ces ouvrages qui ne relèvent pas de l'art pour l'art encore cultivé dans quelques chapelles, qui sont d'abord des « mémoires pour servir à l'histoire de la société », comme disait Abel Hermant, et qui tomberont peut-être dans l'oubli avec cette société même. Mais il me semble que le roman reste fidèle ici à sa grande vocation réflexive, à la manière aussi bien de Marivaux, de Balzac, de Stendhal, de Flaubert et de bien d'autres.
Au féminin
C'est un peu par routine qu'on fait une place à part à la littérature féminine, puisque les femmes écrivent et vivent de plus en plus comme les hommes. Simone de Beauvoir se cherche pourtant aux frontières de la littérature féminine au mauvais sens du terme dans les récits de la Femme rompue : mais si l'on est sévère avec elle, c'est parce que nous savons qu'on peut beaucoup lui demander. Nathalie Sarraute, autre papesse, publie une nouvelle étude entre la vie et la mort de l'œuvre d'art dans le petit monde littéraire. On a fait grand cas de Renata n'importe quoi, de Catherine Guérard, long monologue d'une clocharde d'une virtuosité éclatante, mais d'une vérité qui apparaît moins clairement. Il arrive que les étincelles du talent empêchent de voir la flamme, comme les arbres la forêt.