L'opération avait été menée à l'aide de voitures-pièges, dites banalisées, où des CRS en civil surprenaient les conducteurs imprudents.

Elle devait être répétée dans toute la France, et les préfets n'hésitaient pas à passer leurs week-ends aux champs, pendant le mois d'août, afin de juger les automobilistes coupables. Pendant le seul week-end du 15 août, il y eut 350 retraits de permis.

En même temps, des mesures sévères étaient prises pour dépister les automobilistes en état d'ivresse. Toutes les patrouilles de police allaient être munies d'alcootests, afin d'y faire souffler les délinquants. Et, après tout accident, même non suivi de dommages matériels ou corporels, ainsi qu'à la suite de 34 infractions graves, les conducteurs incriminés étaient conduits à l'hôpital pour y subir une prise de sang, le refus étant sanctionné par un an de prison et 5 000 F d'amende.

209 vies sauvées

L'instauration des tribunaux de la route a été moins mal accueillie par l'opinion publique qu'on aurait pu le supposer.

Un sondage de l'Institut français d'opinion publique montrait même que les deux tiers des personnes interrogées considéraient cette pratique comme « efficace ». Et Roger Frey, alors ministre de l'Intérieur, affirmait que la « chasse aux chauffards » avait permis de diminuer sensiblement le nombre des accidents : durant le troisième trimestre 1966, il y a eu 209 morts et 4 676 blessés de moins sur les routes que pendant la même période de 1965.

Et cela malgré une augmentation de 10 % du trafic.

La bataille de la sécurité

Parce qu'un jeune avocat américain, Ralph Nader, avait attaqué dans un livre les voitures qui tuent et que la première firme du monde entier, la General Motors, avait essayé par tous les moyens, mais en vain, de le réduire au silence, la bataille de la sécurité fait rage aux États-Unis et dans le monde entier. Les constructeurs américains, sous la pression de l'opinion publique, doivent faire réviser leurs véhicules par centaines de milliers. Bientôt, le gouvernement fédéral s'empare du problème. Il crée une Agence de sécurité, dirigée par le docteur William Haddon.

Ce dernier établit, en septembre 1966, une première liste de 26 points que les constructeurs devront respecter pour toutes les voitures circulant aux États-Unis. Au début, les quatre grands américains (GM, Ford, Chrysler, American Motors) ne disent rien. Il est encore trop tôt pour aller à l'encontre de la vague déclenchée pour la sécurité. Et ces normes leur sont familières ; ce sont celles dont l'Administration américaine demande déjà le respect pour les véhicules qu'elle utilise.

Rien pour éviter l'accident

Par contre, chez les constructeurs européens qui exportent aux États-Unis (650 000 véhicules environ en 1966, dont 410 000 pour la seule Volkswagen), c'est un tollé général. Ces normes, déclarent-ils, ont été établies uniquement en fonction des voitures américaines, qui, du fait des conditions de circulation aux États-Unis (vitesse limitée et larges autoroutes), sont, par rapport aux nôtres, très inférieures sur le plan de la tenue de route ou du freinage. Les nouvelles normes tendent à diminuer les conséquences du choc, non à l'empêcher. Au surplus, certaines d'entre elles sont totalement inapplicables sur la plupart des voitures européennes : ainsi, le champ minimal devant être balayé par les essuie-glaces est supérieur à la surface totale de la plupart de nos pare-brise !

Pourtant, le docteur Haddon est pressé d'aboutir. Le 9 septembre, le président Johnson a signé solennellement une loi-cadre, le Traffic Safety Act, décrétant l'élaboration, dans le plus bref délai, d'un projet de normes imposables à tous les véhicules circulant aux États-Unis.

Le 3 décembre, une nouvelle série de 23 normes est rendue publique. Les constructeurs ont un délai d'un mois pour faire connaître leurs observations. Les Européens protestent par tous les moyens, et en particulier au cours d'une réunion tenue le 13 décembre dans le cadre de l'OCDE au château de la Muette, à Paris. Pourquoi n'avez-vous tenu aucun compte, demandent-ils aux délégués américains, du groupe d'études des normes de construction des véhicules qui existe depuis 1948 dans le cadre de la Commission économique de l'ONU et auquel vous participez ?

Impératifs pour l'exportateur

Aux États-Unis, les grands constructeurs finissent par s'élever contre des normes qu'Henry Ford qualifie lui-même de « déraisonnables, arbitraires et techniquement irréalisables ». Leur mécontentement est d'autant plus grand que les délais prévus pour les modifications exigées sont courts. Les normes devraient, en effet, entrer en vigueur 180 jours seulement après la publication de la loi, c'est-à-dire le 1er juillet 1967.