Signe du règne des teenagers, qui profitent à la fois de plus d'argent et de plus de liberté que les générations précédentes. Ils ont donc les moyens de satisfaire leur goût des coupes surprenantes, des couleurs acides et des brefs caprices de la mode.

Le paradis artificiel

En France, en 1966, 74 000 t de tabac se sont envolées en fumée. Assez peu, en somme. De toutes façons, moins qu'ailleurs. En effet, ces 74 000 t représentent 1,3 kg par fumeur français, en moyenne, et l'on compte 4 kg pour le fumeur américain, 3 kg chacun, pour le fumeur belge, allemand et anglais.

Les 3/4 de ces 74 000 t sont 56 milliards de cigarettes, dont 55 % de gauloises. On a vendu, l'an dernier, 28 % de « bouts-filtres » et 9 % de tabac blond en plus. Quant aux cigares et cigarillos, la quantité vendue en 1966 (150 millions... seulement) est encore très loin d'être comparable aux 31 milliards de gauloises, bien que leur vente ait augmenté de 7,2 %.

En résumé, le Français reste fidèle à ses gauloises, mais, insensiblement, se civilise ; il adopte de plus en plus les filtres, il fume davantage de tabac blond, de cigares.

La passion du volant

Déjà citée parmi les « objets que le Français est pressé de posséder, la voiture tient, dans la liste, la deuxième place : après le réfrigérateur, désormais indispensable et beaucoup moins cher, et avant la fascinante télévision. Cependant, si son prix d'achat et, surtout, ses frais d'entretien étaient plus accessibles, la voiture serait, certainement, « l'objet no 1 » dans la panoplie du Français moyen.

Cette passion atteint, en profondeur, les classes aux moyens modestes. Entre les cadres supérieurs ou les professions libérales, dont 86,5 % sont propriétaires de voitures, et le personnel de service, qui n'en comprend que 20,5 %, toutes les catégories sociales sont représentées : cadres moyens (71,4 %), industriels ou commerçants (69,5), agriculteurs (53,2), employés (46) ou salariés agricoles (26,8).

Inutile de préciser que, les tarifs des constructeurs, des garagistes et des pompistes étant les mêmes pour tous, l'automobile dévore une part beaucoup plus forte d'un bas salaire que d'un haut revenu. Problème difficile à résoudre pour l'intéressé dont le train de vie ne supporte pas cette constante hémorragie et qui, pourtant, s'attache à sa voiture, source de plaisirs soulignés par sociologues, psychologues et psychanalystes.

D'autres raisons d'attachement du Français moyen à sa voiture sont plus intimes, presque moins avouables. Sans elle, il est nu, désarmé, il n'existe pas. Soumis à une cascade de patrons ou, s'il est patron lui-même, au cauchemar des échéances, aux tortures des impôts ou aux impératifs de l'ordinateur, lié, sinon soumis, à sa femme, à son foyer, à ses enfants, souvent narquois, il prend sa revanche avec sa voiture, surtout s'il peut l'abriter dans son garage. Capot levé, devant le moteur, il est à la tête de sa petite usine personnelle, qu'il entretient ou remet en marche en cas de panne.

À son volant, stratège obsédé par sa moyenne, il retrouve le pouvoir que la vie lui retire plus ou moins injustement : il décide, il est responsable, il affirme sa puissance et sa supériorité.

Carapace métallique auto-mobile, la voiture est, à la fois, l'armure et le destrier du chevalier du xxe siècle, époque bénie où presque tout le monde peut être chevalier. Ce qui donne, hélas ! quelques sanglants tournois sur nos routes.

Pour certains, la voiture est aussi un second foyer, plus chéri que le vrai, ou, mieux encore, le foyer de celui qui n'en a pas. C'est pourquoi le Français moyen la meuble, comme sa maison, de cendriers, allume-cigarettes, transistors, électrophones, téléphones, récepteurs de télévision, affichettes collées sur les vitres, fétiches ballottants, plaques-souvenirs pour montrer à tous qu'il est membre de clubs ou gagnant de trophées. Il pose même, parfois, sur la lunette arrière, un chien de garde en carton qui hoche la tête, comme il le ferait, s'il était bien vivant, au seuil de sa maison. Ce fétichisme se retrouve à tous les niveaux, depuis le métallo qui suspend des porte-clefs à son pare-brise, jusqu'à celui des Beatles qui s'est offert, pour 150 000 F, une Rolls à la carrosserie décorée comme un salon victorien ; mieux que la reine, dont la Daimler est équipée de ventilateurs.