Le tableau ci-après va nous le dire et nous révéler, par la même occasion, que le Français dépense de plus en plus.

Une première constatation : le Français s'est mis à dépenser beaucoup plus. Il dépensait 100 F en 1959 (date de naissance des francs lourds), et environ 170 six ans plus tard. Augmentation considérable, accompagnée d'un phénomène parallèle : une répartition différente des sommes dépensées. Au point que le classement des chapitres en est modifié : « Hygiène et Santé » vient aussitôt après « Alimentation » et « Habitation ». Aujourd'hui, le Français s'intéresse davantage à sa santé. Sur son budget, il lui consacre une plus grande part qu'à l'achat de ses vêtements ou à la fréquentation des hôtels, cafés et restaurants. Il y a quelques années, c'était le contraire.

Autre évidence révélée par les chiffres, la proportion du budget consacrée à chacun des sept chapitres a augmenté, sauf pour deux d'entre eux, qui ont subi, au contraire, une diminution légère (habillement) ou assez sensible (alimentation).

Les nourritures terrestres

Qu'on ne s'y trompe pas. « D'abord manger » reste la règle d'or du Français. Même en 1965, il y consacre encore le tiers de son budget, c'est-à-dire beaucoup plus que pour les autres chapitres. Et comme le total de ses dépenses a largement augmenté en six ans, les 33 % de 1965 représentent une somme plus forte que les 37,7 % de 1959. Le calcul est facile à faire, d'ailleurs. En millions de francs, les Français dépensaient pour se nourrir, en 1959, 37,7 % de leur budget, soit 63 195 F. En 1965 : 33 %, soit 93 785 F. Donc, s'il consacre à se nourrir une proportion plus faible de son budget, le Français n'en a pas moins augmenté, en six ans, de presque 50 % ses dépenses réservées à l'alimentation. Vous voyez que, s'il pense nettement plus à sa santé et un peu moins à son costume, le Français continue, traditionnellement, à se tenir très bien à table.

On constate même que, s'il ne mange pas moins, il mange mieux. Oubliés les appétits gloutons de l'après-guerre, alors qu'il sortait d'une longue famine, il devient exigeant sur la qualité. Les bouchers le savent bien, qui se plaignent de ne plus pouvoir écouler les bas morceaux, baptisés bifteck après la torture de l'attendrisseur ou steak tartare, après le passage au hachoir.

Encore une fois, ces exigences nouvelles et cette augmentation du budget nourriture se traduisent en chiffres. Pour 1966, par rapport à 1965, la consommation des produits alimentaires s'est accrue de 2,5 %. Le Français garnit mieux sa table. Il mange davantage de viande (en un an, la vente de bœuf a augmenté de 5 %, celle du porc de 10 %), davantage de produits laitiers et de boissons.

Les boissons, surtout, font ressortir le besoin de qualité. La consommation de vin ordinaire n'a augmenté que de 1,4 %, et les « appellations contrôlées », de 6,1 %. Voilà qui devrait faire réfléchir les viticulteurs du Midi, inquiets de ne plus pouvoir se débarrasser de leur gros rouge. Le Français s'attaque même au Champagne. En 1965, il a bu 13 % de plus qu'en 1959. Dans le même temps, 9,8 % de plus d'apéritifs et liqueurs.

Entorse à la recherche de la qualité, le Français mange de plus en plus de conserves de fruits et de légumes. Est-ce à dire, pour autant, qu'il « se contente » de conserves moins bonnes que les produits frais ? Non. Car le contenu des boîtes en verre ou en métal est, proportionnellement, plus cher que ce qu'il peut acheter, en vrac, aux marchands des quatre-saisons.

Ce goût pour les conserves est, au contraire, l'indice de nouvelles exigences : la maîtresse de maison tient, de plus en plus, à se débarrasser, à l'américaine, de la corvée de pluches et, d'autre part, chacun veut pouvoir tout inscrire à son menu à toute époque de l'année. De nos jours, il n'est plus rare de manger des salades de fruits en plein hiver et des asperges hors saison. Le progrès technique pousse le Français à substituer confort ou caprice aux exigences imposées par la gastronomie ou le cycle du soleil. Il y gagne, sans doute, sur la variété des plats, les plaisirs de l'œil ou même de l'esprit. Il y perd certainement sur la fameuse subtilité de ses papilles.