Il reste que les problèmes soulevés par les républicains indépendants ajoutent pour la majorité des incertitudes et un trouble supplémentaires aux inconnues majeures qui subsistent pour tous les camps sur la date et les modalités du scrutin. Les conditions réelles de la prochaine compétition ne se détermineront qu'au fil des semaines, non par des délibérations, des décisions ou des actes politiques, mais simplement parce qu'on laissera passer les échéances, celle de la dissolution, puis celle de la grande réforme.

Ainsi comprendra-t-on seulement à l'approche de la rentrée parlementaire d'octobre que l'hypothèse d'élections anticipées est désormais écartée ; à l'annonce du dépôt d'un projet de réforme électorale élevant de 5 % des suffrages exprimés à 10 % des inscrits le seuil à franchir pour être candidat au second tour, que tout bouleversement du mode de scrutin est finalement exclu ; au fur et à mesure de la désignation des candidats Ve République, que Giscard d'Estaing n'a pas eu gain de cause, ni la part très large dans l'attribution des circonscriptions. En dépit des efforts du Premier ministre, la majorité, comme découragée par toutes ces énigmes, se démobilisera presque complètement des premiers jours de juillet à la mi-octobre.

Le général intervient

Pendant ce temps, un homme portera seul le poids de la campagne : le général de Gaulle lui-même. Il a brillamment préfacé la période électorale par une action conforme à son style et qui comporte en définitive des résultats appréciables pour la politique intérieure, si elle vise officiellement des objectifs de politique extérieure ; une spectaculaire visite en Union soviétique, du 20 juin au 1er juillet. Il va poursuivre sa démonstration à l'usage du monde entier, mais aussi des électeurs français, par un voyage autour du monde qui le conduira à Djibouti — où son passage est toutefois marqué par de violentes manifestations —, Addis-Abeba, Phnom Penh — où il évoque le drame vietnamien —, Nouméa, Tahiti — où il assiste à des expériences nucléaires —, la Guadeloupe, du 25 août au 12 septembre. Entre-temps, recevant à Paris les chefs d'État d'Afrique noire, le roi du Laos, le président du Conseil bulgare, les souverains du Népal, décidant de soumettre l'avenir de la Côte française des Somalis au choix de ses habitants consultés par référendum, tenant conseil à l'Élysée même au mois d'août, il demeure le meilleur propagandiste de son régime.

Pour couronner cet effort, il tient le 28 octobre une conférence de presse et hausse le ton. Si les élections faisaient entrer à l'Assemblée nationale, dit-il, une majorité incapable de gouverner, il interviendrait, « compte tenu de ses attributions constitutionnelles ». Comment ? Le champ des hypothèses est large, et les uns pensent à la dissolution, les autres à l'article 16. De toutes façons, de Gaulle jette ainsi dans la balance tout le poids de son prestige et de son autorité. Au gouvernement et aux gaullistes de faire le reste.

L'opposition se prépare

L'opposition, de son côté, n'a pas attendu l'été pour prendre le départ. Les communistes, dès les premiers jours de janvier, avaient repris, à l'intention de la gauche, l'antienne du programme commun qu'ils avaient un moment accepté d'oublier afin de faciliter l'union sur le nom de Mitterrand, et qu'ils oublieront d'ailleurs de nouveau à la fin de l'année pour permettre l'accord électoral. Quelques jours plus tard, Jean Lecanuet avait lancé son Centre démocrate et entamé de difficiles pourparlers avec ses associés MRP et indépendants. En mars, il avait réuni à Lyon la première Convention nationale de son mouvement.

La Fédération de la gauche, après huit jours de discussions acharnées, décidait de reconduire le 23 juin François Mitterrand à sa tête, renonçant à une présidence tournante semestrielle. Puis elle engageait ses préparatifs, avec des décisions souvent opposées à celles qui étaient prises dans le même temps par le mouvement gaulliste. Tous les députés sortants socialistes et radicaux seront automatiquement investis ; mais tous les élus fédérés constitueront un groupe unique dans la prochaine Assemblée. Enfin, la priorité était donnée au programme de la Fédération.