À peu près en même temps était annoncée la mise en service, près de San Francisco, du plus puissant accélérateur linéaire du monde.

Mais les records, dans les installations de la physique moderne, ne tiennent pas longtemps. En juin 1966 également, le CERN a mis à l'étude le choix du site où il entreprendra d'édifier le futur accélérateur européen de 300 GeV. Et les Américains ont désigné, en décembre 1966, le site de Weston, dans le Middle West, pour la construction d'un accélérateur de 200 GeV.

Sonder la matière

À mesure qu'elle explore toujours plus avant la nature intime de la matière, la physique contemporaine exige des machines dont le gigantisme dépasse déjà celui des plus lourdes installations industrielles.

Pour arracher des électrons à un atome, il a suffi de mettre en jeu des énergies de l'ordre de l'électron-volt (l'électron-volt est l'énergie fournie à une particule porteuse d'une unité de charge électrique — électron ou proton — quand elle est soumise à une différence de potentiel de 1 volt). On a ainsi trouvé que l'atome n'était pas, comme on le croyait jadis, une unité insécable, mais qu'il comprenait un noyau et des électrons.

Le noyau, ensuite, a été brisé à son tour. Il a fallu pour cela le bombarder avec des particules accélérées jusqu'à acquérir des énergies de plusieurs millions d'électron-volts. On a trouvé que le noyau lui-même se compose de nucléons : protons et neutrons.

Puis, en bombardant les nucléons avec des projectiles animés d'énergies encore plus intenses, de l'ordre du milliard d'électron-volts, on a découvert que l'univers des particules fondamentales était bien plus complexe qu'on ne l'imaginait. Certaines de ces particules ont une existence si brève qu'on a pu mettre en cause leur réalité en tant que particules distinctes.

Aux trois catégories de forces que l'on connaissait déjà dans la nature — gravitationnelle, électromagnétique et nucléaire —, il a fallu en ajouter une quatrième : les interactions faibles, qui gouvernent le monde des particules légères, électrons, muons et neutrinos. Les physiciens affrontent maintenant des problèmes pour lesquels ils ont besoin d'instruments d'investigation toujours plus pénétrants, c'est-à-dire de projectiles animés d'énergies toujours plus élevées. Ainsi s'est engagée entre les grands laboratoires du monde entier une véritable course aux hautes énergies, dans laquelle les performances s'expriment en milliards d'électron-volts.

« Le Monstre » de Stanford

Il n'y a pas d'appareils capables de donner en une seule fois des différences de potentiel de plusieurs millions ou plusieurs milliards de volts. Pour communiquer à des particules les hautes énergies nécessaires, on doit les accélérer progressivement en leur donnant une série de chiquenaudes de quelques milliers de volts. Après quoi, ces projectiles sont lancés sur une cible, et l'on observe ce qui se passe au moment de leur impact avec des nucléons.

Il existe deux grandes sortes d'accélérateurs : les accélérateurs linéaires et les accélérateurs circulaires.

Dans les accélérateurs linéaires, les stations d'accélération sont placées en ligne droite les unes derrière les autres. Dans les accélérateurs circulaires, les particules tournent en rond dans un champ magnétique ; à chaque passage devant une station d'accélération, elles reçoivent une nouvelle chiquenaude. Chacune de ces catégories se subdivise en types différents, tels, parmi les machines circulaires, les synchrotrons (que les Soviétiques nomment synchro-phasotrons).

Pour obtenir des faisceaux d'électrons à haute énergie, on utilise des accélérateurs linéaires. Ils y atteignent très vite des vitesses voisines de celles de la lumière, et si leur accélération se poursuit, leur masse augmente (en vertu de la relativité), mais leur vitesse reste pratiquement constante. Au commencement de 1966, on comptait, parmi les accélérateurs linéaires à électrons les plus importants, ceux d'Orsay (1,3 GeV) et de Kharkov (2 GeV).

Contrairement aux électrons, la vitesse des protons (dont la masse au repos est bien plus élevée) croît lentement et reste, sauf aux énergies très élevées, bien inférieure à la vitesse de la lumière. Les structures d'accélérateur linéaire applicable aux électrons ne peuvent servir qu'à une accélération préalable. Pour acquérir des énergies plus élevées, les protons, accélérés d'abord linéairement, sont ensuite injectés dans des accélérateurs circulaires. Les plus puissants sont actuellement les synchrotrons de Brookhaven aux États-Unis, et de Genève-Meyrin (CERN). Le premier peut communiquer à des faisceaux de protons une énergie de pointe de l'ordre de 30 GeV ; l'autre va jusqu'à 28 GeV.