A priori, on pouvait se demander où la France pourrait bien replier le CIEES. Autant il est concevable d'accepter l'éloignement d'une base astronautique où les tirs sont forcément assez rares, autant il est difficile d'accepter les complications que vaudrait une base d'essais d'engins où de très nombreux ingénieurs militaires et civils doivent être présents pour suivre des expériences qui se suivent à un rythme rapide.

La France, dont on a tant vanté l'équilibre et la variété, avait d'insoupçonnées ressources spatiales. Elle a trouvé une base parfaite, face à une mer peu fréquentée, avec des terrains déserts : ceux du cordon littoral des Landes, dans la région de Biscarosse. Ces étendues avaient déjà une vocation militaire. Elles se trouvaient tout près des usines de la SEREB et du Service des poudres, au sud de Bordeaux, et assez près de Toulouse, qui va devenir la capitale aérospatiale de la France.

La géographie va jusqu'à offrir dans l'Atlantique une île pour servir de base d'observation aux fusées à longue portée, lors de leur retombée en mer : l'île de Florès, la plus occidentale des Açores, où le Portugal, à qui appartient l'archipel, a autorisé la France à établir des radars.

En 1966 ont eu lieu les premiers tirs à partir d'une base incomplètement équipée. Elle doit recevoir certains appareils après leur évacuation d'Hammaguir.

Les fusées militaires

C'est là que sont actuellement mises au point, entre autres, les fusées militaires françaises constituant la seconde génération des vecteurs de la force de frappe, fusées à poudre qui doivent être tirées les unes depuis des silos de haute Provence, les autres depuis, nos sous-marins nucléaires.

Mais la base sera cependant ouverte aux civils, et même aux civils des autres nations, puisque c'est là que sera essayé Cora, le second étage français de la fusée Europa.

L'équipement du champ de tir a été spécialement orienté vers les procédés les plus modernes de traitement des informations. De nombreux moyens d'observation permettent de suivre les engins. Mais comment exploiter les données qu'ils délivrent à profusion ? Le cerveau humain est irrémédiablement dépassé. Seule l'électronique peut ici lui venir en aide.

La première campagne « combinée » dans les eaux de Madère

Madère a été, au cours de l'été 1966, le théâtre de la première opération combinée jamais réalisée au monde, faisant intervenir, en même temps, un grand navire de surface, le Jean-Charcot, et ce sous-marin des grands fonds qu'est le bathyscaphe Archimède.

Le choix de Madère a été fait à la fois en fonction de la situation de l'île et des possibilités d'exploitation du bathyscaphe Archimède construit par le CNRS et mis en œuvre conjointement avec la Marine nationale.

Pour le bathyscaphe Archimède, les profondeurs de 4 200 m situées dans les parages de Madère sont relativement modestes. Mais un bathyscaphe n'est réellement autonome qu'à partir du moment où il a quitté la surface ; il doit être remorqué par son navire d'accompagnement jusque sur le lieu de plongée. Madère présentait un double avantage : des fonds assez importants étaient situés non loin de la ligne du rivage (30 à 40 milles), et l'on pouvait y amener l'Archimède, depuis sa base de Toulon, entièrement en remorque (au prix d'un voyage d'une douzaine de jours), évitant ainsi l'opération coûteuse du chargement sur cargo.

Une faune très riche

Une autre condition indispensable était l'existence de fonds intéressants et variés, principalement du point de vue des recherches biologiques. Or, Madère est le siège d'une des rares pêches au monde dont l'exercice repose sur l'exploitation d'une espèce profonde, le peixe-espada (Aphanopus carbo), pêche artisanale, certes, mais qui suppose la présence d'une population assez importante. Ce poisson, qui peut dépasser 1 m de long, est péché entre 500 et 1 500 m de profondeur, exclusivement à la ligne. L'étude des contenus stomacaux de ce prédateur féroce a montré qu'il consomme les proies les plus diverses, avec une prédilection marquée pour certaines espèces de grandes crevettes spécifiquement profondes.