Le cas de Mireille Mathieu est bien différent. Révélée par l'émission Télé-Dimanche à la fin de 1965, en même temps qu'une autre imitatrice d'Édith Piaf, moins chanceuse, Georgette Lemaire, Mireille Mathieu aurait vendu, dans la seule année 1966, 2 800 000 disques.

Sa tournée estivale — autre pierre de touche du succès — s'est déroulée devant des salles combles. Bien que le souvenir de Piaf ait contribué à son lancement, Mireille Mathieu, Avignonnaise ensoleillée, n'a de commun avec sa devancière que le contraste entre une voix puissante et un corps frêle.

Le renouvellement de son répertoire sera certainement le principal problème d'une carrière remarquablement administrée par Johnny Stark, qui a été auparavant le manager de Johnny Hallyday.

Justesse d'un pronostic

La même tournée d'été qui a prouvé l'emprise de Mireille Mathieu sur le public a confirmé le succès de Salvatore Adamo et d'Enrico Macias.

L'accueil fait, dès ses débuts, à Salvatore Adamo avait été considéré, par beaucoup d'experts, comme un coup d'arrêt aux yéyés. L'événement a montré la justesse de ce pronostic.

Las des onomatopées hurlées sur trois notes, les auditeurs se laissent reprendre aux charmes de mélodies et de paroles plus soignées. Adamo et Macias — l'un Sicilien d'origine et l'autre pied-noir — représentent assez bien la revanche d'un certain Midi, un peu gras et facile, sur un Nord anglo-saxon, pâle contrefacteur des rythmes de Harlem.

Adamo et Macias se partagent une clientèle qui aurait été, hier, celle de Tino Rossi. Ce qui n'empêche pas Tino Rossi de vendre encore chaque année 100 000 Petit Papa Noël et de triompher chaque fois qu'il sort de sa demi-retraite dorée.

Autre révélation des années 1966-1967, Michel Polnareff s'est fait connaître d'abord par ses cheveux, plus longs que ceux d'Antoine. Ensuite, il a bien fallu l'écouter et constater qu'il était plus musicien que son rival en chevelure.

Quoiqu'il prenne volontiers ses modèles outre-Manche, Polnareff, en définitive, est, comme Adamo et Macias, en réaction contre la vague yéyé.

Six ans après...

De cette vague, que reste-t-il après six ans ? Pendant ces six ans, Johnny Hallyday a vendu 18 millions de disques. Ses moyens, comme sa carrière, ressemblent plus à ceux d'un boxeur que d'un chanteur, et l'on est tenté de parler de come back à propos de sa rentrée à l'Olympia, après une éclipse très nette. Indiscutablement, il a gagné son dernier match, aux points.

Gageons qu'il gardera son titre aussi longtemps que la majorité du public ignorera ceux qu'il imite non sans talent, à travers Elvis Presley : les vrais chanteurs, danseurs et guitaristes noirs de rock and roll.

L'autre idole, Sheila, poursuit une carrière plus sage, partagée entre la chanson, le cinéma et la couture (où s'est réfugiée Sylvie Vartan, après une apparition dans l'ombre de son époux, Johnny Hallyday). Françoise Hardy, elle, semble négliger la chanson au profit de la photographie et du cinéma. Claude François se maintient, grâce à un répertoire assez proche de celui de Bécaud.

Quant aux Pirates, Chats sauvages, Cyclones et autres Fantômes dont les guitares amplifiées à l'excès faisaient tant de bruit il y a cinq ans, on ne sait trop ce qu'ils sont devenus.

Il semble bien qu'Eddy Mitchell soit le dernier représentant d'un mouvement qui, en fin de compte, relève davantage de la sociologie que de la critique musicale.

C'est de la sociologie aussi que relève l'échec relatif des chansons à message.

À l'instar de Bob Dylan et de Joan Baëz, quelques chanteurs français — Jean Ferrat, Hugues Aufray, Patrick Abrial — ont traité des sujets d'actualité politique : le racisme, la guerre au Viêt-nam, l'assassinat de Kennedy.

Aucun de leurs couplets engagés n'est devenu vraiment populaire ; aucun n'est descendu dans la rue comme, naguère, ceux de Montéhus, Gloire au 17e ou le Chant des Jeunes Gardes. La chanson qui, par la grâce de la radio et des juke-boxes, meuble cinq ou six heures par jour de la vie des Français, ne semble plus jouer aucun rôle dans leur vie politique.