Il est évident que ce n'est que peu à peu et non sans risques que certains directeurs de salles établies loin des grands courants de passage (Champs-Élysées et Grands Boulevards) ou du Quartier latin se sont convertis à la programmation Art et essai. Au Théâtre de l'Est parisien, par exemple, alors que la première saison théâtrale avait bénéficié d'un franc succès, il a fallu deux années d'efforts pour que les séances cinématographiques attirent elles aussi un public nombreux et fidèle. Il y a une évolution indéniable des goûts du public, dans la mesure où un film difficile n'est plus aujourd'hui automatiquement un échec commercial ; mais le succès de certaines salles spécialisées ne doit pas masquer les obstacles que peut rencontrer une programmation exigeante dans un milieu peu préparé.

Le théâtre va plus loin

Au président des cinémas d'Art et essai qui demandait aux exploitants de prendre plus de risques, Jean Lescure, directeur de l'Alcazar d'Asnières, répondait : « Quel risque y a-t-il à passer du Godard au Quartier latin ? Mais quel risque, au contraire, si l'on veut passer Huit et demi dans un village de la Creuse (ou des environs de Paris, c'est la même chose !). Quel risque à passer une version originale aux Champs-Élysées devant un public chez qui l'entraînement universitaire, poursuivi quotidiennement ensuite, a rendu la lecture extrêmement rapide. Mais, par contre, quel risque à le faire devant un public habitué à déchiffrer lentement les gros titres des journaux du soir et dont la maladresse élève si considérablement le seuil de la perception globale texte-image qu'on le voit, crispé, abandonner tour à tour l'image ou le texte dans la vaine tentative d'en saisir au moins un... » (Texte publié dans Dossiers Art et essai no 3.)

Ceci explique en partie cela, et en particulier le retard de la province, encore que, depuis quelques années, le mouvement Art et essai ait réussi à s'implanter solidement dans certaines villes. Sans doute n'existe-t-il pas encore de grand mouvement de décentralisation ; le cinéma n'a pas suivi l'exemple du théâtre, du moins pas encore. Mais les premiers signes avant-coureurs sont là. À Aubervilliers, le Théâtre de la Commune organise des séances de cinéma parallèlement à ses activités théâtrales.

On peut néanmoins s'étonner que certaines villes universitaires, qui bénéficient d'une clientèle gagnée d'avance, soient encore dépourvues de salles spécialisées.

Cinéma expérimental

Une solution d'avenir réside dans une coopération plus active entre le mouvement Art et essai et les diverses fédérations de ciné-clubs, dont certaines, comme la Fédération Jean-Vigo, ne se contentent pas seulement d'introduire dans le secteur non commercial des œuvres classiques, mais s'attachent aussi à découvrir dans le cinéma mondial, et tout particulièrement dans le jeune cinéma, des œuvres importantes qui n'auraient eu que peu de possibilités de se frayer un chemin dans un circuit normal de distribution.

Le mouvement Art et essai aura atteint pleinement son but lorsque le succès des Amours d'une blonde ou des Désarrois de l'élève Toerless ne sera plus exclusivement parisien. Le bilan très positif de ces dernières années est beaucoup plus qu'encourageant.

Les grosses superproductions qui auraient dû normalement combler d'or leurs auteurs ont eu ces dernières années quelques caprices. Certains films qui, il y a une vingtaine d'années, se seraient rangés dans la catégorie des œuvres maudites, ne peuvent aujourd'hui revendiquer cette appellation. Quelque chose a changé dans le cinéma. Et cette évolution semble irréversible.

La saison 1966-1967

En France, la baisse de fréquentation s'est poursuivie cette année. Par rapport à la saison 1965-1966 la perte est d'environ 20 millions de spectateurs. Ce phénomène, qui depuis quelques années touche principalement l'industrie cinématographique des États-Unis et de l'Europe occidentale, est également sensible au Japon, qui a vu de 1962 à 1966 son public réduit des deux tiers. Les pays de l'Europe centrale et l'URSS résistent mieux et maintiennent un taux de fréquentation plus honorable.