L'Angleterre nouvelle, c'est la mode, la jeunesse, l'architecture qui transforme Londres, le théâtre traduit et joué dans le monde entier, c'est la science et la technologie qui donnent aux Anglais un record de prix Nobel, c'est le goût des réformes et des examens de conscience. Mais l'autre Angleterre, celle des crises économiques endémiques et des échecs, celle des hésitations et des regrets, n'apparaît pas moins à la une des journaux et inspire des commentaires sévères ou sceptiques.

Sursis et sacrifices

Cependant, 1967 restera la date d'une grande décision : pour la seconde fois, et avec un acharnement tout britannique, la Grande-Bretagne a posé sa candidature au Marché commun.

Dix mois auparavant, une telle décision semblait inconcevable. Juillet s'ouvrait sur une crise dramatique : le 4, la Trésorerie annonçait que les réserves en devises convertibles étaient tombées à 1 170 millions de livres. Un vent de panique souffla sur la Cité. En dépit des interventions quotidiennes de la Banque d'Angleterre, le cours de la livre s'effondrait et tombait en dessous de la parité officielle avec le dollar. Partout on jouait la dévaluation. L'Angleterre devait quémander l'aide extérieure.

Harold Wilson fit front aux exigences des gnomes de Zurich comme aux critiques de ses compatriotes. Des premiers, il obtint un sursis, des seconds, des sacrifices civiquement consentis. Le 20 juillet, il exposait aux Communes un programme d'austérité aussi classique que draconien. Ce socialiste féru d'économie politique n'hésitait pas à recourir aux méthodes de ses adversaires conservateurs, préférant l'efficacité à l'orthodoxie.

Premier objectif : réduire la demande intérieure pour éviter l'inflation et limiter les importations. D'où le blocage des salaires et des prix, l'établissement d'une surtaxe de 10 % sur les boissons et l'essence, la limitation des ventes à crédit.

L'État donnait l'exemple : les dépenses publiques seraient réduites de 500 millions de livres. Le Premier ministre réaffirmait, en outre, que la balance des paiements serait rétablie avant la fin de 1967 et que la livre ne serait pas dévaluée.

Son obstination, quand bien des experts estimaient qu'une dévaluation semblable à celle que la France avait opérée en 1958 serait peut-être pour Londres une des clefs de son entrée en Europe, les moyens forcément impopulaires qu'il employait pour défendre la livre n'allèrent pas sans provoquer des remous jusqu'au sein du Cabinet. À tel point qu'au début du mois d'août, à la faveur d'un remaniement du gouvernement, H. Wilson écartait G. Brown, le no 2 du parti travailliste, des Affaires économiques, pour le remplacer par un homme plus souple, M. Stewart.

La tournée des capitales

La compensation offerte à G. Brown était, il est vrai, de taille : le Foreign Office. Européen convaincu, le nouveau ministre des Affaires étrangères allait pouvoir y jouer un rôle de premier plan. Trois mois plus tard, le 10 novembre, une première étape était franchie : H. Wilson annonçait aux Communes une tournée des capitales européennes pour explorer les possibilités d'une candidature au Marché commun.

L'heure de la décision n'était cependant pas encore venue. D'autres difficultés accaparaient le Premier ministre, au premier plan desquelles l'affaire rhodésienne, que son gouvernement portait comme une croix depuis ce 11 novembre 1965 où les colons blancs de Salisbury avaient défié la métropole, trop encline à leurs yeux à promouvoir les droits de la majorité noire, et avaient proclamé unilatéralement l'indépendance.

Au-delà de Suez

L'Angleterre, qui avait su régler le problème des Indes, qui avait conduit sans heurt une dizaine de pays africains à l'indépendance multiraciale, qui était parvenue à éviter le pire au Kenya et en Guyane, se laissait dicter la loi, et une loi raciste, par une poignée de colons de Salisbury.

Allait-elle de nouveau échouer dans une de ses dernières colonies, Aden, où de violents troubles éclatèrent en mars-avril. Le problème, là, est d'autant plus complexe qu'il est lié non seulement à la situation au Moyen-Orient, mais à toute la stratégie britannique à l'est de Suez. Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement britannique a été confronté avec le grand dilemme : la Grande-Bretagne doit-elle et peut-elle encore maintenir au-delà de Suez une présence politique et militaire ? Harold Wilson a finalement dû se résoudre au départ. Le 18 juillet 1967, il décidait que les bases à l'est de Suez seraient évacuées en 1975.