Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

œcuménisme (suite)

Au seuil du quatrième quart du xxe s., cette ferveur est retombée et le prieur de la communauté de Taizé lui-même, dont la vocation œcuménique est manifeste, n’hésite pas à dire que « l’œcuménisme officiel a décidément fait faillite et que seules les audaces des jeunes offrent encore quelque espoir ». On vit, depuis la fin du deuxième concile du Vatican (1965), une sorte de récession de l’espérance. Le vent est à la restauration des autorités et des institutions traditionnelles, un instant ébranlées par l’annonce de l’âge majeur de l’Église et de l’humanité ; il apparaît que les chemins jusqu’ici suivis ont conduit à des impasses et que des conflits fondamentaux ont comme arrêté dans l’œuf l’éclosion de la révolution œcuménique. Ce n’est pas que tout soit resté dans l’état d’autrefois : les dialogues, les études et les recherches ont clarifié bien des malentendus, dissipé nombre de méfiances et mis en évidence le caractère inadmissible de caricatures réciproques.

Mais d’autres clivages se précisent, qui tiennent en particulier aux relations des différentes Églises avec les pouvoirs, ou plutôt des différentes parties de chaque Église avec les couches de la société ambiante : le politique, omniprésent, divise en même temps qu’il interpelle. Des clivages et des regroupements d’un type nouveau se produisent : la voie vers l’unité passe à travers des éclatements et des arrachements internes ; l’œcuménisme le plus difficile est celui qui, désormais, doit se pratiquer à l’intérieur de chaque Église et tenter d’affronter, voire de résoudre des conflits exprimant l’opposition des conservateurs et des progressistes d’une même confession. C’est dans la mesure où elle se refuse à masquer les divisions, reflets en elle des antagonismes séculaires entre riches et pauvres, c’est dans la mesure où elle s’accepte comme écartelée par les grandes divisions économiques et politiques qui dressent les hommes et les nations les uns contre les autres que, paradoxalement, chaque Église peut faire en son propre sein l’expérience de la réconciliation, dresser quelques signes d’espérance et d’unité au sein des affrontements qui déchirent l’humanité et participer à la grande œuvre de libération en cours.


Etymologie et origine

Les mots œcuménisme et œcuménique ne viennent pas de la Bible. Par contre, œcuménè, ou œcuménie, s’y trouve assez souvent. Ce terme dérive d’un verbe grec signifiant « habiter ». Il désigne, dans le vocabulaire biblique, la terre habitée, l’ensemble des lieux où les hommes résident, et ce par opposition à la terre inhabitée, le désert, celle où l’homme fait la double expérience décisive de sa détresse fondamentale et de la rencontre possible avec Dieu, où il peut trouver l’occasion d’être confronté avec l’essentiel, c’est-à-dire avec l’image idéale qu’il se propose de réaliser ou, éventuellement, avec une parole venue d’ailleurs, parole libératrice et exigeante à la fois, parce qu’elle est celle du Dieu qui crée la vie nouvelle. Dans l’Épître aux Hébreux (II, 5), il est question de l’« œcuménie à venir », et cela souligne bien que l’espérance chrétienne, qui est la dimension originale et décisive de la foi, n’est pas attente d’un au-delà désincarné, mais bien une sorte de regard positif jeté sur ce monde, qui va changer du tout au tout parce que celui qui est son Créateur est aussi son libérateur et qu’il l’a à la fois réconcilié et récapitulé par le ministère du Christ-Jésus. Ainsi, dans la mesure même où l’espérance vise le monde entier, le cosmos dans sa totalité, l’« œcuménisme » concerne au premier chef toute la terre des hommes ; c’est de l’unité du genre humain qu’il s’agit d’abord.

L’« œcuménisme » vise donc beaucoup plus la vocation et la mission universelles de l’Église que son unité ; celle-ci, dont la nécessité n’est apparue que tardivement, en raison même des divisions historiques qui ont affecté l’existence de la communauté chrétienne, n’est significative ou nécessaire que pour servir à la vocation essentielle du peuple de Dieu. Cette vocation, c’est la communication de l’évangile à tout homme vivant sous le ciel, communication qui est à la fois re-présentation du Christ dans le service désintéressé des chrétiens et parole reprenant celle de Jésus et actualisant son œuvre. Ainsi dans Matthieu, xxiv, 14, le Christ décrit la tâche qu’il confie à ses disciples : « Cette bonne nouvelle du Royaume sera prêchée dans l’« œcuménie » pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin. » Il y a là une claire définition du rapport et des relations entre l’Église et le monde, entre le moment de la première venue du Christ sur la terre et la fin de l’histoire, qui est aussi le dernier chapitre de l’Évangile : la communauté des disciples, petite minorité dispersée parmi les nations, a reçu mandat de faire connaître à tous un message à prétention universelle ; pour tout homme, l’Évangile est la bonne nouvelle que les temps sont proches où sera manifesté le royaume de Dieu, c’est-à-dire un état de vie commune et personnelle, où la volonté de Dieu incontestée aura transformé l’enfer des hommes en une société humaine dirigée par la justice et l’amour, la paix et la liberté, qui se seront enfin rencontrés, comme l’annonçait déjà de façon prophétique et poétique le Psaume lxxxv, chanté par le peuple d’Israël à travers les âges.

Ainsi, l’Église est universelle puisque aussi bien la parole dont elle est dépositaire et qu’elle doit manifester et transmettre vise tout homme quelles que soient sa race, sa religion, sa langue ou sa nation. Rien dans le monde ne lui est étranger ; au contraire, l’Église est appelée à signifier, en refusant tous les cloisonnements, tous les particularismes, tous les privilèges et toutes les discriminations, que la réconciliation cosmique a déjà atteint l’humanité et que bientôt vont être mises au jour ces grandes réalités positives qui, d’ores et déjà, ont marqué la vie de tout homme, qu’il le sache ou non.