Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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œcuménisme (suite)

C’est alors seulement que l’on peut aborder le problème œcuménique au sens étroit du terme, celui qui concerne l’unité de l’Église : l’unité apparaît comme un moyen second, un instrument indispensable, un support nécessaire de l’œcuménicité (la veille de sa mort, dans ce grand texte que l’on a nommé la « prière sacerdotale », Jésus, selon le IVe Évangile, a prié pour que ses disciples « soient un » ; mais il est clair que cela n’est pas une fin en soi : il faut qu’ils soient un « afin que le cosmos croie » [Jean xvii, 21]). Si l’œcuménicité n’exclut pas le pluralisme — car l’Église vit dans des circonstances, dans des cultures, dans des situations et des lieux différents — il est clair, néanmoins, qu’il ne saurait y avoir plusieurs Églises œcuméniques. L’unité, quels que soient sa valeur et son rôle, fait partie de l’être même de l’Église ; elle en est un fait constitutif ; c’est pour que l’Église puisse être « en état de mission » qu’il faut aussi qu’elle soit une.

Dans le Nouveau Testament et au cours des premiers siècles, on a fortement conscience de la nécessité d’être dans l’unité ; et, lorsque des courants centrifuges se manifestent qui mettent cette unité à rude épreuve dès la première et la deuxième génération chrétienne, les Apôtres et ceux qui poursuivent leur ministère dans l’histoire formulent des exhortations extrêmement fermes. Par exemple : « Menez une vie digne de l’appel que vous avez reçu : en toute humilité, douceur et patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; appliquez-vous à conserver l’unité de l’Esprit par ce lien qu’est la paix. Il n’y a qu’un corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de, tous, par tous et en tous » (Paul, Épître aux Éphésiens, iv, 1 sqq.).

L’unité de l’Église est donc partie intégrante de la foi ; il faut la servir et veiller sur elle, faute de quoi l’Église perdrait son œcuménicité, sa signification universelle, sa prétention à apporter à tout homme une parole le concernant de façon décisive. Et c’est pourquoi, quelles que soient les tensions qui aient pu se manifester, il y a eu, dès les origines et en raison même de ces tensions, un ministère de l’unité à l’intérieur des premières communautés chrétiennes : le ministère apostolique vise à ce que ce qui met à l’épreuve l’unité ne soit jamais plus fort que ce qui la nourrit. Et cela va s’exprimer au cours des premiers siècles, décisifs pour tout l’avenir du christianisme, par la reconnaissance commune, qui s’élabore petit à petit à travers bien des discussions et des hésitations, d’une norme pour la foi : le canon des Écritures, qui sera fixé vers la fin du ive s. Il semblerait donc que l’on ait, dans cet ensemble de textes, la règle de la foi permettant de définir, une fois pour toutes et toujours de nouveau, la frontière entre ce qui est chrétien et ce qui ne l’est pas. Mais la science du Nouveau Testament a récemment mis en lumière le fait capital qu’à l’intérieur de lui-même le canon offre une diversité significative d’orientations doctrinales, toutes convergeant cependant vers le Christ, sa personne et son œuvre. Cela exprime, dès le départ, que l’évangile n’est pas une doctrine intemporelle, une fois pour toutes fixée dans ses termes et dans son orientation, mais qu’il doit être toujours de nouveau formulé en raison même des différents auditeurs auxquels il s’adresse. C’est dire que, si l’évangile est donné, il doit être toujours de nouveau inventé, qu’il ne peut être récité, mais qu’il doit être sans cesse formulé de façon originale dans la langue des autres. Le risque herméneutique est inséparable de la vocation œcuménique qui constitue l’apostolat chrétien. Lorsqu’il y a dans le Nouveau Testament des formulations diverses, celles-ci ne remettent pas en cause l’unité fondamentale tout entière au service de la mission de l’Église tant que ceux qui formulent ces christologies, ces ecclésiologies, ces « sotériologies » différentes gardent la volonté d’être en contact vivant avec des hommes réels dans l’extrême diversité des situations humaines qu’ils rencontrent.


L’unité rompue

Ce qui vient d’être dit ne signifie pas que l’unité de l’Église pourrait être invisible, tout entière fondée dans une sorte de communion spirituelle désincarnée au Christ ressuscité transcendant les temps et les lieux. Si l’œcuménie, la terre habitée, qui est la raison d’être de l’existence de l’Église, est bien visible, concrète, historique et géographique, l’unité de l’Église ne saurait l’être moins.

Mais, s’il arrive que l’on perde de vue cette ordination de l’Église à la terre habitée, à l’ensemble de l’humanité, alors il se peut que, des diversités normales, l’on passe à des divergences et que les tensions entre des cultures et des classes diverses deviennent des ruptures stérilisantes ; à chaque époque, en chaque lieu, l’Église, au cours de toute son histoire, s’est efforcée à donner comme un résumé de la foi qu’elle professait et qu’elle essayait de transmettre : la confession de foi a d’abord été, qu’elle apparaisse dans le Nouveau Testament, par exemple dans le grand hymne christologique du chapitre ii de l’Épître aux Philippiens ou dans les textes émanés plus ou moins directement des conciles des premiers siècles, un condensé du message que l’Église voulait communiquer ; ce n’est qu’en raison même des misères liées aux divisions successives de l’Église que ces textes de proclamation au monde sont devenus comme des fanions jalousement gardés par des fragments de la communauté chrétienne éclatée, comme des drapeaux, des étiquettes tendant à manifester l’identité, la singularité, la spécificité de telle ou telle des parties de l’Église par rapport aux autres. Dans la mesure même où elle perdait son unité, l’Église, au lieu d’être missionnaire, était toujours de nouveau tentée de se replier sur elle-même, de se définir et de se distinguer par rapport à ceux qui, à ses yeux, se réclamant du nom de chrétiens, n’avaient pas conservé l’authenticité de la foi ni la pureté du message originel. Ce qui était à l’origine fidélité à la parole et vigilance sur le dépôt du Christ pouvait devenir et est effectivement devenu dogmatisme et introversion.