Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

Océanie (suite)

On prenait ses repas assis sur le sol. Plusieurs couches de feuilles ou des palmes de cocotier tressées servaient de nappe. Chaque convive disposait de quelques autres feuilles en guise d’assiettes et d’une coque de noix de coco qui contenait un condiment préparé à partir de poisson fermenté dans de l’eau de mer. Cette eau, dans les îles cernées par un récif frangeant ou un lagon, constituait la principale ressource en sel. Avant et après les repas, on se lavait soigneusement la bouche et les mains. Le souci de propreté corporelle est d’ailleurs très grand chez les Océaniens. Il n’est pas de journée qui ne s’achève par un long bain dans la rivière, ou dans la mer si l’eau douce fait défaut.


Les transports et les voyages

Les pirogues étaient, en dehors de la marche, le seul moyen de transport. À simple ou à double balancier, ou à deux coques réunies par un pont de bois, elles étaient mues, sans gouvernail, à la voile ou à la pagaie. Les plus grandes, utilisées pour les longues traversées ou à la guerre, pouvaient contenir plus de 200 personnes avec armes et bagages. Aux Fidji, l’une des dernières constructions de grande pirogue double connue dura près de sept ans : la longueur de l’embarcation était de 36 m, le pont qui réunissait les deux coques avait une surface de 120 m2, la hauteur du mât était de 20 m, et la longueur de chacune des deux vergues de 27 m. Les modèles variaient légèrement d’un archipel à un autre : forme et décor de la proue et de la poupe, des pagaies, des écopes, des ancres de pierre, mode de gréement. Chaque clan avait son oriflamme particulière. Les chefs conservaient un savoir nautique transmis oralement et qui est aujourd’hui en grande partie perdu. Au temps de J. Cook, les Tahitiens et les Tongans connaissaient la géographie d’une grande partie du Pacifique. On savait s’orienter en observant les astres et leurs mouvements, et naviguer en tenant compte des vents réguliers ou non et des courants. Les Micronésiens des îles Marshall établissaient des cartes nautiques en utilisant un réseau de tiges de bois qui représentaient les principales directions de réflexion et de réfraction des vagues ; sur ce réseau, des coquillages localisaient les îles. En Polynésie orientale, on venait de très loin pour assister aux assemblées religieuses de Raïatea, aux îles de la Société, et même de la Nouvelle-Zélande et des îles Hawaii. Cela représentait une distance de 2 074 milles dans le premier cas et de 2 370 dans le second (soit, respectivement, 3 850 et 4 400 km environ), et une traversée de quatre à cinq semaines.


La vie sociale et religieuse

En dehors de la Polynésie orientale, il est malaisé de définir des systèmes précis d’organisation sociale. Les thèmes sont en partie communs, mais chacun d’eux prend, selon la région, une importance privilégiée. Les systèmes de parenté sont complexes et variés, et peuvent, dans une même population, se transformer lentement ou brutalement. La bigamie était fréquente dans le Pacifique occidental, rare en Polynésie, mais la polyandrie était normale aux îles Marquises. Le principe de l’adoption était partout répandu. En Mélanésie, la hiérarchie pouvait être de caractère gérontocratique ou codifié par un système de grades, attribués en fonction des qualités personnelles des individus et de leur richesse en biens consommables ou capitalisables. En Polynésie, le pouvoir était socialement plus structuré qu’ailleurs, et sa transmission plus héréditaire qu’élective. Le mana*, cette force surnaturelle inégalement partagée, était lui-même héréditairement transmissible. Partout, cependant, les membres d’un groupe étaient interdépendants et contrôlaient sa cohésion. Le prestige était nécessaire au maintien du rang hiérarchique ; d’où une incessante rivalité entre groupes et individus ainsi qu’un état de guerre presque endémique.

Les combats, terrestres ou navals, étaient de simples escarmouches ou de véritables guerres d’extermination. Le casse-tête était l’arme la plus répandue : selon les régions, il était en bois sculpté, armé ou non d’une tête en pierre ou de dents d’animaux. Les Maoris de Nouvelle-Zélande taillaient leurs casse-tête dans de la pierre ou de l’ivoire. On se servait aussi de piques, de javelots, de frondes. L’arc n’était utilisé qu’en Mélanésie et aux Tonga. On construisait, pour se défendre, des camps retranchés ; les plus vastes et les plus élaborés étaient ceux des Maoris. En cas de défaite grave, l’exode des survivants était inévitable, car les prisonniers étaient rarement épargnés. La guerre fut probablement, avec la pression démographique, l’un des mobiles principaux du peuplement du Pacifique.

Les traditions constituaient les archives orales des institutions et, sous couvert de mythologie, transmettaient les généalogies, les règles de la vie sociale (tenure des terres, régulation des mariages, etc.), les raisons et les modalités des rites initiatoires, funéraires ou de fertilité. Le culte des ancêtres était pour chacun primordial, tant sur le plan religieux que sur le plan social. La qualité de l’ancêtre déterminait la place et les droits de l’individu ou des groupes dans la société : d’où l’importance des généalogies. La vie religieuse ne saurait, d’ailleurs, être dissociée de la vie quotidienne, qu’elle conditionne et ponctue de cérémonies collectives. Ces fêtes étaient organisées sur une place aménagée à cet effet : on y chantait et l’on y dansait au rythme sonore des flûtes et des tambours. Elles étaient accompagnées de festins souvent considérables. Les différents groupes sociaux avaient leur sanctuaire particulier. Des spécialistes, choisis pour leurs compétences, étaient chargés de certains rites ou de certaines pratiques secrètes. Ils opéraient sur de petits autels de pierre. En Polynésie orientale apparut une véritable « classe sacerdotale », qui disposait d’édifices particuliers, les marae, pour exercer, avec les dignitaires de l’aristocratie, leur ministère religieux. Les ancêtres et les dieux du marae, c’est-à-dire ceux du clan, étaient invités à y dialoguer avec les vivants et à les soutenir dans leurs entreprises pacifiques ou guerrières. C’est ici encore que les théologies et les cosmogonies paraissaient les plus élaborées. Les premiers Européens furent trop enclins à ne considérer que cet aspect de la vie religieuse des Polynésiens orientaux. Celle-ci ne peut être comprise sans se référer aux thèmes communs à toutes les religions océaniennes. Cette unité dans la diversité caractérise, en fait, l’ensemble du monde océanien.