Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Océanie (suite)

Australiens et Tasmaniens

Si ce n’est en terre d’Arnhem et dans le seul domaine technologique, les aborigènes australiens ne furent pas influencés par leurs voisins du Nord : Indonésiens et Mélanésiens. On ne croit plus non plus que ceux de la côte est et de la Tasmanie aient eu quelque rapport avec les Mélanésiens orientaux. Vivant de la chasse et de la cueillette, ils eurent à s’adapter aux variations climatiques de la fin du Quaternaire. Pendant les maximums glaciaires, presque tout le continent australien était facilement habitable. En effet, la diminution de l’évaporation permettait une irrigation normale par les eaux courantes, les fleuves étaient abondants et de grands lacs occupaient le centre de l’Australie. Pendant les stades de réchauffement climatique (on en compte quatre principaux dans cette région du globe), l’augmentation de l’évaporation et la permanence d’un anticyclone tropical transformaient en désert la moitié de l’Australie. Cette désertification s’est augmentée depuis la fin de la glaciation würmienne.

À l’arrivée des Européens, les Australiens étaient à peu près 300 000 (200 000 seulement, d’après certains), inégalement répartis sur les 7 700 000 km2 de l’Australie et de la Tasmanie. Les plus nombreux vivaient sur les côtes nord et sud-est ainsi qu’en Tasmanie, mais leur densité moyenne n’y excédait pas 0,4 au km2. De couleur brun foncé, ils sont, à l’exception des Tasmaniens, assez grands et élancés. Leurs membres sont relativement plus longs que chez les autres types humains ; l’arcade sourcilière des hommes est aussi plus marquée. Les différences régionales qu’on a pu remarquer ne sont probablement pas le fait d’une origine raciale différente, mais la conséquence d’une adaptation à des milieux naturels très différents, dans le temps et dans l’espace. Les résultats d’études hématologiques sont favorables à cette thèse. Leurs langues, très nombreuses (plus de cinq cents), ne sont pas austronésiennes. On les subdivise en vingt-deux groupes linguistiques principaux.

Les Australiens vivaient par familles ou par groupes de quelques dizaines d’individus, tout en appartenant à des groupes plus importants et dont les frontières géographiques étaient assez imprécises. Chacun de ces groupes correspondait souvent à une unité linguistique, à un même type de comportement social et religieux. Bien qu’indépendantes les unes des autres, les tribus échangeaient entre elles des produits utilitaires et entretenaient des relations d’obligations réciproques. Dans les familles (matriarcales), comme dans les groupes plus étendus, l’homme détenait l’autorité ; le pouvoir social et religieux était surtout le fait des plus âgés. Les ressources alimentaires variant avec les saisons, on était obligé de mener une vie semi-nomade. Les familles se déplaçaient avec leurs chiens. Les hommes chassaient les marsupiaux, pêchaient à la ligne ou au filet. Le ramassage des coquillages et la collecte des plantes comestibles étaient une activité réservée aux femmes. La chasse et le développement des graminacées étaient facilités par l’incendie volontaire des forêts, ce qui contribua à la dégradation du milieu biologique.

L’équipement, de forme ou de décor variable selon les groupes, était à peu près constant dans sa nature : boomerang avec ou sans retour, javelot, propulseur (qui servait aussi de récipient et dont l’une des extrémités, armée d’un éclat de pierre taillée, permettait également de travailler le bois), bouclier, hache de pierre, petits outils de pierre taillée. On transportait les liquides dans des sacs très finement tressés ou en peau de kangourou cousue à l’aide d’une aiguille en os. Des paniers d’écorce peinte et des plats en bois ou en écorce complétaient cet équipement. En terre d’Arnhem, on utilisait des pirogues taillées dans des troncs d’arbre et mues à la voile ; ailleurs, de simples embarcations en écorce ou des radeaux. On vivait à peu près nu, on dormait près d’un foyer, à l’abri d’un paravent d’écorce ou de branchages.

Techniquement adaptés à des conditions très difficiles, mais aussi toujours précaires, les Australiens sentaient la nécessité d’entretenir les expériences positives du passé pour assurer leur existence, de faire appel à un code social et politique très strict ainsi qu’à une tradition religieuse éprouvée. Des êtres mythiques ont créé la nature, dont l’homme est un élément indissociable. Le totémisme permettait de préciser cette relation, et l’accomplissement de rites divers de la revivifier. Si certains rites étaient relativement discrets, d’autres nécessitaient de véritables spectacles mimés.

Cette interdépendance du passé, du présent et de l’avenir, du surnaturel et du vivant concerne également la naissance et la mort. Pour les Australiens, la fécondation des femmes n’est pas le fait de l’homme, mais celui d’un germe immatériel qui provient d’un ancêtre et qui la pénètre. Ce germe se dédouble à la naissance de l’enfant : l’un l’accompagne dans sa vie et dans la mort, et l’autre reste à l’intérieur du groupe qui se réclame du même totem et permettra une nouvelle naissance et la réincarnation d’un ancêtre.

Le dernier Tasmanien est mort en 1876 ; la disparition de ces peuples est l’un des cas de génocides les plus typiques. Le gouvernement de Canberra estime que les aborigènes australiens constituent aujourd’hui une population à peu près stable de 120 000 individus environ, dont les deux tiers sont des métis. Il hésite à décider s’il convient de laisser cette population poursuivre un genre de vie de plus en plus difficile, du fait de son confinement dans les territoires les plus déshérités, ou s’il est préférable de l’intégrer peu à peu à notre type de société.

J. G.

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