Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

nucléaire (énergie) (suite)

Le seul corps susceptible de réaction de fission dans des conditions d’environnement relativement modérées est un isotope relativement rare de l’uranium, l’uranium 235. Sur 100 000 atomes d’uranium naturel, on compte en effet 6 atomes d’U 234, 711 d’U 235 et 99 283 d’U 238. Dans ces conditions, les ressources offertes par les gisements d’uranium seraient vite épuisées : on estime que, si on ne pouvait utiliser que l’uranium naturel, les réserves exploitables à bon marché seraient déjà fortement entamées au milieu de la prochaine décennie. Fort heureusement pour la production d’énergie, lorsqu’on soumet à des flux de neutrons l’uranium 238, on obtient un produit fissile, le plutonium 239. De la même manière, on obtient, à partir du thorium 232, de l’uranium 233, qui est instable.

À condition d’employer l’uranium dans un surrégénérateur, ce n’est pas seulement la fraction très minime d’uranium 235 qui est utilisable, mais la totalité du stock d’uranium mondial.

Pour contrôler la fission, il importe de pouvoir ralentir le flux de neutrons engendrés par la réaction : on utilise donc des modérateurs (hors des surrégénérateurs). Dans le cas d’usines fonctionnant à l’uranium naturel, il convient d’employer de l’eau lourde ou du graphite. Dans le cas d’usines travaillant avec de l’uranium enrichi, on peut utiliser comme modérateur de l’eau sous pression (procédé Westinghouse) ou de l’eau bouillante (procédé General Electric).

L’énergie nucléaire se trouve transformée en énergie thermique, que l’on va utiliser pour la production d’énergie électrique. La chose est possible grâce à l’utilisation d’un fluide de refroidissement. C’est notamment le cas du gaz carbonique pour les centrales à uranium naturel, de l’eau pour les centrales à uranium enrichi.

Les premières centrales construites utilisaient de l’uranium naturel, ce qui évitait d’avoir à isoler l’uranium 235 de l’uranium 238. Les deux isotopes ne peuvent être séparés que par des méthodes physiques. Cela nécessite d’énormes installations, une technologie très avancée et de fortes consommations énergétiques. Cela explique que l’on ait souvent choisi, dans une première phase, l’emploi de l’uranium naturel.

Les difficultés liées à cette filière* tiennent à la nature des ralentisseurs et des refroidisseurs utilisés. L’eau lourde et le graphite sont des produits chers. Les circuits de gaz carbonique demandent des tuyauteries en alliages légers qui sont fragiles. Les filières à uranium enrichi utilisent, comme refroidisseur et comme modérateur, l’eau, et les installations mobilisent des techniques métallurgiques plus éprouvées, puisqu’on peut se servir d’acier inoxydable.

Au total, l’utilisation de l’uranium enrichi permet de réduire de manière appréciable les investissements nécessaires par kilowatt de puissance installé. Le perfectionnement des techniques permet de modifier sans cesse le rapport entre les prix de revient. Dans quelques années, les centrales surrégénératrices, dans lesquelles on utilise directement le rayonnement pour obtenir, par transmutation de l’uranium 238, un nouveau combustible nucléaire, le plutonium, entreront en activité, ce qui transforme les données économiques d’ensemble. Quelles que soient les filières utilisées, on parvient à des puissances sans cesse plus élevées, ce qui réduit le prix de revient unitaire.

Au stade actuel, on estime que les prix de revient sont devenus compétitifs. Avec les réacteurs classiques, on est déjà au-dessous du prix de revient de l’énergie thermique fournie par les centrales au gaz, au fuel ou au charbon. Les centrales surrégénératrices abaissent encore le prix de revient. Une imprécision demeure cependant dans ces évaluations : il est difficile de faire entrer en ligne de compte les coûts indirects liés à l’extension des pollutions. Cela est aussi vrai pour la production d’énergie par les moyens traditionnels que pour la production d’origine nucléaire, mais il importe de faire des progrès rapides si on veut choisir les politiques les plus intéressantes pour la collectivité.


La géographie de l’énergie nucléaire

Elle s’explique beaucoup plus par le poids des considérations techniques et stratégiques que par le problème des ressources ou des besoins immédiats. Jusqu’à présent, la production d’uranium s’est faite dans des conditions relativement faciles. Les minerais sont généralement liés aux socles. Les réserves sont abondantes aux États-Unis, au Canada, en Afrique du Sud. Les gisements français ne sont pas négligeables, et ceux de l’Afrique centrale (Gabon, Niger) sont importants. Les réserves de la Suède et de l’Espagne sont également notables, mais il s’agit de gisements où le prix de revient du métal est élevé. La recherche a été très active depuis vingt ans, car elle a été stimulée à la fois par les politiques d’armement nucléaire et par la croissance accélérée de la production d’électricité. Pour quelques années au moins, le marché s’est trouvé saturé, ce qui a conduit à ralentir le rythme d’exploitation des nouveaux gisements. On estime que la capacité de production, pour le monde occidental, a été voisine de 50 000 t en 1975.

La géographie de la concentration de l’uranium naturel est toute différente : il n’y a guère dans le monde occidental qu’aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France que l’on dispose d’installations importantes, qu’en U. R. S. S. pour les pays de l’Est. La liste doit même être réduite, dans la mesure où les installations françaises de Pierrelatte sont destinées à la production de plutonium à des fins militaires. Cela implique que les installations de production dépendent encore presque exclusivement dans le monde de la livraison d’uranium enrichi par les États-Unis. C’est dans cette optique qu’il faut se placer pour comprendre le choix de la politique française : la filière à uranium naturel semblait plus sûre que les autres, mais depuis 1969, on a vu se transformer les attitudes, et les nouvelles centrales françaises utilisent de l’uranium enrichi, ce qui explique la récente décision de construire en France une importante usine d’enrichissement « civil » de l’uranium.