Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Aragon (suite)

Jacques Ier le Conquérant (1213-1276), chef invaincu de la Reconquista, est l’un des personnages les plus remarquables de l’histoire de l’Espagne. Fils de Pierre II le Catholique, il adopte une politique de rapprochement avec l’Europe qui le conduit, en 1258, à la signature avec Saint Louis du traité de Corbeil, aux termes duquel la France renonce à tout droit sur le Roussillon et sur Barcelone, moyennant l’abandon par l’Aragon de ses prétentions sur la Provence et le Languedoc, à l’exception de Narbonne. Il fait faire à la Reconquista des progrès décisifs (prise de Valence en 1238 et de Murcie en 1266), puis s’engage dans une politique méditerranéenne (domination des Baléares en 1235).

Son successeur, Pierre III le Grand (1276-1285), contribue à la constitution de la puissance navale de l’Aragon, dont, au dire de Roger de Lauria, « les poissons eux-mêmes doivent porter les armes pour pouvoir circuler dans la Méditerranée ». Il se fait couronner roi de Sicile en 1282, après les Vêpres siciliennes, au détriment de Charles d’Anjou.

Cette question entraîne des démêlés qui vont occuper Alphonse III (1285-1291) et Jacques II (1291-1327). Ce dernier conquiert la Sardaigne (1323-1326) et impose sa suzeraineté à la Corse. Pendant son règne, les « almugavares », aventuriers catalans et aragonais commandés par Roger de Flor, se rendent à Constantinople pour y venir en aide à Andronic II Paléologue, menacé par les Turcs.

Après l’assassinat de leur chef, ils fondent en Grèce le duché d’Athènes, qui revient à Pierre IV le Cérémonieux (1336-1387) ; ce souverain s’empare de Majorque et du Roussillon, s’oppose à Pierre Ier de Castille et fait échouer la révolte de la noblesse.

Son fils cadet, Martin Ier l’Humain (1396-1410), qui gouverne à la mort de son frère aîné Jean Ier (1387-1396), meurt sans héritier, et, à la suite d’un interrègne de deux ans assuré par les Cortès réunissant les délégués d’Aragon, de Catalogne et de Valence, l’infant de Castille Ferdinand est appelé au trône aragonais par le compromis de Caspe (1412) et remplacé par Alphonse V le Magnanime, puis par Jean II.

Alphonse V (1416-1458), plus mécène et homme de lettres que monarque, passe la majeure partie de son temps dans sa cour de Naples.

L’expansion aragonaise est étroitement liée au problème commercial. Il faut trouver des débouchés pour la laine brute d’Aragon, les lainages et les produits manufacturés de Catalogne, les peaux, les produits agricoles et miniers, et disposer de sources avantageuses pour les importations de céréales (la Sicile et la Sardaigne), d’épices (le Levant), de matières colorantes et de coton. Toutefois, la prospérité qui a caractérisé l’Aragon à la fin du xive s. et au début du xve s. commence à décliner.


Union de l’Aragon et de la Castille

Jean II (1458-1479), conscient de l’infériorité économique de son royaume par rapport à la Castille, se fait l’instigateur du mariage de son fils Ferdinand avec la princesse Isabelle, sœur du roi castillan Henri IV, réalisant ainsi l’union de l’Aragon et de la Castille.

L’Aragon apporte les royaumes de Sicile et de Sardaigne, qui restent associés à la vie de la Catalogne au xvie et au xviie s., et qui vont permettre à l’Espagne de jouer un rôle capital en Méditerranée jusqu’au début du xviiie s. À partir de la réunion de ces deux couronnes, les intérêts des divers États de l’Aragon commencent à diverger, sans que pour cela convergent complètement ceux de ce royaume et de la Castille. Les institutions politiques, la législation et le système douanier restent distincts. Un Conseil d’Aragon est créé à Madrid. Il est compétent pour les affaires relatives aux territoires de l’ancien royaume. On en exclut d’ailleurs dès 1555 les questions italiennes, qui sont confiées au Conseil d’Italie. Ferdinand le Catholique institue le tribunal de l’Inquisition.

Le xvie siècle est pour l’Aragon une période d’instabilité sociale : soulèvement des vassaux contre leurs seigneurs, attaques des morisques, banditisme paysan, etc. C’est dans ce contexte général de crise que s’inscrivent les troubles aggravés par l’intervention de Philippe II dans l’affaire d’Antonio Pérez, personnage impliqué dans l’assassinat du secrétaire de don Juan d’Autriche, qui se réfugie en Aragon pour bénéficier des privilèges particuliers à son pays natal. Philippe II exigeant l’extradition, quelques nobles se soulèvent. La répression ne se fait pas attendre, et le magistrat suprême, Juan de Lanuza, est décapité en 1591.

Dans les premières années du xviie s., le nombre des morisques est de 64 000 ; ils représentent donc 16 p. 100 de la population totale du royaume aragonais et sont concentrés sur les terres les plus fertiles de la vallée de l’Èbre. Leur expulsion, décrétée par Philippe III, laisse un vide qu’il est impossible de combler immédiatement. Ce n’est que l’arrivée d’immigrants français qui permettra, beaucoup plus tard, de remédier à la pénurie de main-d’œuvre.


Le xviiie s. et la guerre de Succession

Au xviiie s., pendant la guerre de Succession, la couronne d’Aragon présente un front uni pour la dernière fois. L’Aragon, la Catalogne, Valence et Majorque soutiennent l’archiduc Charles contre Philippe V. Le conflit dure moins longtemps en Aragon qu’en Catalogne, mais les représailles sont plus rapides. Au lendemain de la bataille d’Almansa (1707), Philippe V supprime les « fueros » (privilèges) aragonais et valenciens, et prend toute une série de mesures centralisatrices, qui sont appliquées en 1711. Il entre à Saragosse au mois de décembre 1710. L’ancienne organisation politique de l’Aragon disparaît, cette région se transformant en fait en province, et son Conseil étant incorporé à celui de la Castille. C’est dans le domaine fiscal que la centralisation castillane se fait particulièrement lourde.

Toutefois, on observe, tout au long du xviiie s., un certain redressement, dans le secteur agricole notamment. La construction du canal Impérial d’Aragon, à l’état de projet depuis 1529, est entreprise sous Charles III (1772) : c’est à la fois la preuve et l’un des éléments de ce progrès.