Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Aragon (suite)

La guerre de l’Indépendance

Les Aragonais s’illustrent au cours de la guerre de l’Indépendance contre l’invasion napoléonienne, mais subissent des pertes considérables ; on estime que 53 878 personnes trouvèrent la mort aux sièges de Saragosse (1808 et 1809). La campagne aragonaise n’est pas épargnée non plus : autour de Saragosse, toutes les cultures sont ravagées (olives et vignes), et le nombre des ovins et des animaux de labour diminue sensiblement. En 1815, la situation est telle que l’État est contraint de tripler les impôts.


L’époque contemporaine

Jusqu’ici, l’Aragon semble former un ensemble homogène, si on laisse de côté les conflits sociaux. Par contre, si l’on examine le passé plus récent, on s’aperçoit que les différences et les nuances ne font que se renforcer. À l’occasion des luttes politiques du xixe et du xxe s., l’Aragon se scinde en deux parties : la plus riche et la plus développée, c’est-à-dire la région de Saragosse et de la vallée de l’Èbre, qui adopte en général une attitude de tendance révolutionnaire, et les terres les plus pauvres, correspondant aux Pyrénées et au bas Aragon, qui, elles, ont une position traditionaliste et conservatrice.

Saragosse est l’une des premières villes à se rallier au soulèvement constitutionnel dirigé par Riego (1820), alors que les zones montagneuses accueillent les guérilleros absolutistes qui viennent s’y réfugier. Lors des guerres carlistes, Saragosse défend âprement la cause d’Isabelle et du parti libéral, tandis que le bas Aragon est l’un des fiefs traditionnels du carlisme*. En 1843, Saragosse est l’une des cités à brandir le drapeau de l’insurrection et, en 1854, l’un des foyers de la révolution.

Il serait facile de multiplier les exemples de ce genre jusqu’à nos jours. Saragosse et les environs constituaient un noyau anarchiste actif, comme le prouvent les congrès de l’Internationale et de la Confédération nationale du travail qui s’y sont tenus, et votaient à gauche, contrairement aux régions situées dans la montagne.

Ces divergences découlent en fait de l’existence de substrats différents et de structures économiques et sociales très diverses, qui caractérisent, d’une part, le monde rural traditionnel de la zone montagneuse et, de l’autre, les régions de la vallée de l’Èbre, où ont pénétré l’industrie et l’agriculture commercialisée.

R. G.-P.

➙ Almoravides / Baléares / Barcelone / Carlisme / Castille / Cid (le) / Espagne / Reconquista.

 P. J. Pidal, Historia de las alteraciones de Aragón en el reinado de Felipe II (Madrid, 1862-1863 ; 3 vol.). / A. Giménez Soler, La Edad Media en la Corona de Aragón (Barcelone, 1930). / R. Altamira y Crevea, Histoire d’Espagne (A. Colin, 1931 ; 3e éd., 1956). / R. Brunschvig, Documents inédits sur les relations entre la couronne d’Aragon et la Berbérie orientale au xive siècle (Larose, 1937). / A. Ballesteros y Beretta, Historia de España y su influencia en la Historia Universal (Barcelone, 1943-1948 ; 12 vol.). / A. Aguado Bleye, Manual de Historia de España (Madrid, 1954-1956 ; 3 vol.). / J. M. Casas Torres, J. M. Lacarra y de Miguel et F. Estape Rodriguez, Aragón (Saragosse, 1960 ; 2 vol.).

Aragon (Louis)

Poète, romancier et essayiste français (Paris 1897).


« Ma vie tout le monde croit la connaître. Ça me donne parfois des fous rires », écrit Aragon dans Je n’ai jamais appris à écrire, ou les Incipit (1969). Et, cependant, il semble que peu de chose nous soit caché de cette vie constamment publique.

Enfance au sein des « beaux quartiers », dans le XVIe arrondissement d’abord, puis à Neuilly, où sa mère tient une pension de famille, sorte de lieu des plus éducatifs... L’enfant y connaîtra une « Levantine », dont la voix « sortait des Mille et Une Nuits ». Ses premiers auteurs seront russes. Il découvrira Gorki, écrivain jugé alors dangereux, et dont sa famille lui interdira la lecture : « Qu’y avait-il d’autre dans ces livres que les plus hauts, les plus grands sentiments, la pureté du cœur ? Les miens étaient-ils donc du parti de ceux qui font le mal ? » Si Français par ses racines, ses façons de sentir, de penser, d’ironiser, c’est en Russie que d’emblée il a trouvé la révélation d’une certaine éthique et d’un certain côté de lui-même.

Il se vantera de n’avoir jamais parlé de la Guerre de 1914. Celle-ci n’a présenté pour lui d’autre importance que de l’avoir mis en présence d’André Breton, comme lui étudiant en médecine affecté à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce. Il a trouvé en Breton et en ceux qui, bientôt, le choisiront pour guide la confirmation du mot de Lautréamont : « La poésie ne sera pas faite par un seul, mais par tous. »

1927. Aragon s’inscrit au parti communiste. La graine jetée dans son esprit, quelque quinze ans plus tôt, a germé, et c’est pour lui, en outre, la conséquence inévitable de son surréalisme. Il s’en est expliqué dans Pour un réalisme socialiste (1935). Le surréalisme est révolutionnaire par sa violente opposition aux valeurs bourgeoises et religieuses. Mais est-il une vraie liberté de l’esprit en régime capitaliste ? Bourgeois de naissance, Aragon ne s’est jamais senti à l’aise dans son milieu d’origine : « Si on me traitait de bourgeois, j’éprouvais cette vérité comme une insulte et je voulais à toutes forces n’être plus un bourgeois, mais je ne voyais pas d’autre moyen d’y parvenir que les mots employés à le nier... » Adhérer à la IIIe Internationale, c’est plus que des mots, c’est un engagement, à la fois libérateur et redoutable.

La Russie vient à lui, en 1928, à Paris, dans ce café de Montparnasse « grand comme une gare », la Coupole, sous les traits de Maïakovski, le poète soviétique. « Cette minute devait changer ma vie. Le poète qui a su faire de la poésie une arme, qui a su ne pas être au-dessous de la Révolution devait être le lien entre le monde et moi. » Le lendemain, à la même place, autre rencontre capitale, celle d’une jeune femme russe, Elsa Triolet, belle-sœur de Maïakovski. Seule la mort d’Elsa en 1970 les séparera.

1931. Au retour d’un voyage en Russie bolchevique, il publie Front rouge :
Pliez les réverbères comme des fétus de paille.
Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace.
Descendez les flics
Camarades
Descendez les flics.