Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Aragon (suite)

Les premiers musulmans arrivent au viiie s. (ils sont à Saragosse en 714) dans la vallée de l’Èbre, dont ils se rendent maîtres sans rencontrer de résistance véritable ; ils établissent des garnisons dans les places fortes présentant un intérêt stratégique. On peut difficilement les qualifier d’envahisseurs, car il s’agit en majorité de descendants de chrétiens renégats. Il faut souligner toutefois que l’assimilation est beaucoup plus réduite vers le nord, où, dès le milieu du viiie s., apparaît une opposition qui se traduit essentiellement par le refus de payer les impôts fixés par les musulmans.

Au début du ixe s., le comte franc Aureolo s’installe dans le territoire de Jaca, qu’il conserve jusqu’à sa mort en 809. Des noyaux indépendants se forment et se renforcent dans les vallées pyrénéennes, grâce à l’appui des Francs, et Charlemagne lui-même reconnaît la souveraineté d’un comte espagnol. C’est ainsi que naît le comté d’Aragon, qui reste dans l’orbite du royaume de Pampelune jusqu’au xie s., puis se constitue à son tour en royaume, ne prenant définitivement son nom qu’au moment de la Reconquista*. Il s’étend alors entre les deux bras du fleuve Aragon.

Vers 800, l’aspiration des habitants à l’indépendance est encouragée par la politique pratiquée par Charlemagne sur la frontière espagnole. À l’aube du ixe s., Aznar Galindo Ier, Aragonais jouissant de la bienveillance de l’empereur, reçoit le titre de comte. Il est expulsé par son gendre, García le Méchant, à la suite d’une querelle familiale, puis remplacé par son fils, Galindo Ier Aznárez, soutenu par les rois de Navarre. La tutelle de cette famille est confirmée par le mariage d’Aznar II, fils de Galindo Ier Aznárez, avec une fille du roi de Pampelune, García Iñíguez. Le comté d’Aragon n’en garde pas moins son indépendance, et la famille Aznar conserve son droit à la succession.


Les liens avec Pampelune

La dynastie Aznar tente de s’affirmer en établissant des liens matrimoniaux. L’une des filles d’Aznar II épouse le gouverneur, ou « valí », de Huesca, al-Ṭawīl ; Galindo II Aznárez s’unit à l’une des filles du comte García Sánchez de Gascogne ; les filles de Galindo Ier se marient, l’une avec le comte Bernard de Ribagorza, et l’autre avec le roi de Pampelune García Sánchez (925-970), unissant ainsi le comté à la dynastie souveraine de Pampelune jusqu’à la mort de Sanche III le Grand (1035).

Ce dernier laisse l’Aragon à son fils aîné Ramire, et le royaume de Pampelune au premier de ses bâtards. Ramire s’efforce d’agrandir son territoire et d’assurer son autonomie totale. En 1043, il y incorpore les enclaves de Sobrarbe et de Ribagorza, qui deviennent possessions de la couronne aragonaise. Il lutte pour consolider son domaine et pour l’élargir aux dépens de l’Islām. Il meurt près de Graus (1063), dans un combat qui l’oppose au roi de Saragosse al-Muqtadir ibn Hūd. Son fils, Sanche Ramírez (1063-1094), poursuit cette politique d’une façon encore plus intense. Au début de son règne, il se rend à Rome (1068) pour remettre sa couronne et sa personne entre les mains de Dieu et de saint Pierre. C’est pour cette raison que le rite romain est introduit dans les couvents aragonais en 1071.


L’hégémonie aragonaise

Le lien qui unit, plus théoriquement que pratiquement, le roi d’Aragon à la descendance directe de Pampelune est à tout jamais rompu lors de l’assassinat à Peñalén du roi Sanche de Pampelune (1076). Le souverain aragonais profite de cet événement pour s’annexer une bonne partie de ce royaume, y compris la capitale. À la mort d’al-Muqtadir (1081), on assiste à l’affaiblissement du royaume « taifa » de Saragosse, le plus grand ennemi de l’Aragon. Les trente dernières années du xie s. s’ouvrent sur d’excellentes perspectives, car l’arrivée des Almoravides* en 1086 pousse Alphonse VI de Castille à faire appel à plusieurs reprises au roi d’Aragon. À la fin de son règne, Sanche Ramírez se lance dans des entreprises de plus grande envergure, grâce à l’appui occasionnel d’Alphonse VI et à la solide amitié du Cid Campeador. Il meurt au siège de Huesca en 1094.

Son fils Pierre Ier (1094-1104) s’empare de Huesca (1096) et de Barbastro (1100). En une génération, le royaume d’Aragon a donc doublé ; il menace dangereusement les places fortes de Lérida, Saragosse et Tudela.

Le frère de Pierre Ier, Alphonse Ier le Batailleur (1104-1134), prend Saragosse (1118) avec l’aide de nombreux contingents venus du sud de la France sous le commandement du comte Gaston de Béarn. Tudela et Tarazona ne tardent pas à se rendre. Alphonse Ier meurt après avoir été vaincu à Fraga, près de Huesca, mais en ayant mené à bon terme la conquête de Saragosse. On peut considérer que ce monarque représente le point culminant de l’hégémonie du royaume d’Aragon, puisqu’il réussit à se rendre maître de Saragosse et des vallées les plus fertiles de l’Èbre. Il laisse son royaume entre les mains d’un gouvernement militaire, pensant que celui-ci va continuer la Reconquista ; mais, ces dispositions allant à l’encontre du droit coutumier, c’est son frère Ramire II le Moine qui monte finalement sur le trône (1134).

Ramire II épouse en 1136 Agnès de Poitiers, et la main de leur fille Pétronille est accordée dès 1137 au comte de Barcelone, Raimond Berenger IV. Pétronille reçoit en dot le droit à la succession sur le trône d’Aragon, et, par l’union du royaume aragonais et du comté de Catalogne, tous les pays annexés par les comtes rois deviennent propriété de la couronne aragonaise.

Son fils aîné, Alphonse II (1162-1196), établit sa domination sur le Roussillon, s’impose vicomte de Béarn et hérite en 1167 du comté de Provence, où il règne sous le nom d’Alphonse Ier.

Pierre II (1196-1213), après avoir combattu les Almohades à las Navas de Tolosa (1212), meurt à Muret aux côtés de Raimond VI de Toulouse en luttant contre Simon de Montfort. Son surnom de « Catholique » ne l’empêche pas de succomber en défendant la cause des albigeois, en fait pour l’indépendance du sud de la France.