Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

nestorianisme (suite)

L’Église nestorienne

On désigne ainsi les communautés chrétiennes qui reconnaissent l’autorité suprême du « catholicos-patriarche d’Orient », siégeant d’abord dans les villes royales perses de Séleucie-Ctésiphon, puis à Bagdad après l’instauration du califat ‘abbāsside dans cette ville (762).

On emploie également les dénominations d’Église chaldéenne (plus particulièrement pour la fraction unie à l’Église catholique romaine) ou d’Église assyrienne (terme équivoque, qui fait son apparition en 1870 dans le monde anglo-saxon). Actuellement réduite à une infime minorité (environ 100 000 fidèles), cette Église a connu au cours des siècles une très vaste expansion et vécu une histoire glorieuse et tragique.

De petites communautés chrétiennes se sont sans doute très tôt constituées en Mésopotamie, notamment à partir des colonies juives de Babylonie ; elles se développèrent à la suite de la déportation, au-delà de l’Euphrate, d’une partie de la population d’Antioche (v. 260). Leur première organisation est attribuée à Pāpā bar Aggaï, évêque des villes royales sassanides de Séleucie-Ctésiphon à la fin du iiie s. Les violentes persécutions suscitées à diverses reprises à l’instigation des mages, gardiens de la religion officielle (zoroastrisme), ne parvinrent pas à les disloquer. Envoyé par deux fois en Perse, d’abord sous Arcadius, puis sous Théodose II, en 410, dans le cadre d’une ambassade, l’évêque Maroutha († v. 420) de Martyropolis (ville proche d’Amida [auj. Diyarbakır], dans l’actuelle Turquie) présida un concile au cours duquel fut proclamée l’adhésion de ces Églises à la doctrine orthodoxe définie aux conciles de Nicée-Constantinople et interprétée par saint Athanase* et les docteurs cappadociens.

Mais, dès 424, dans l’intention d’apaiser les suspicions que suscitaient leurs relations avec l’Empire romain, les communautés chrétiennes de Perse proclamèrent que l’évêque des villes royales, « qui est Pierre parmi nous », ne relevait que du seul jugement du Christ. Par ailleurs, fermement attachées à la tradition antiochienne et notamment aux enseignements de Diodore de Tarse et de Théodore de Mopsueste (v. 350-428), donnés dans l’« école des Perses » (transférée depuis 363 à Édesse [auj. Urfa], en territoire romain), elles demeurèrent réticentes à la condamnation de leur disciple Nestorius au concile d’Éphèse (431) et surtout à la suspicion croissante à l’égard de la christologie antiochienne. En 486, à l’instigation d’un évêque de cour, Barṣaumā (v. 496), l’Église de Perse prenait officiellement position en faveur de Nestorius et assouplissait la discipline traditionnelle du célibat ecclésiastique.

La doctrine officielle de l’Église trouva enfin son expression définitive dans une profession de foi rédigée en 612, durant une longue vacance du siège catholicosal (609-628) sous l’influence prépondérante du grand moine théologien Babaï (569-628). Réorganisée une première fois au milieu du vie s. par le catholicos Mar Abā Ier (540-552), elle le fut de nouveau au lendemain de la conquête arabe par Icho‘yab III (650-657), qui fixa sa liturgie, puis par Timothée Ier (780-823). C’est avec ce dernier que se précisa définitivement la juridiction du catholicos de Bagdad sur les chrétientés de l’Inde du Sud (Malabār).

Ces chrétientés, qui peuvent remonter jusqu’aux temps apostoliques, étaient peu à peu entrées dans l’orbite d’influence du catholicos d’Orient, au moins depuis le vie s. (Mar Abā). Par ailleurs, dès 631, des moines missionnaires nestoriens avaient porté l’évangile dans l’Asie centrale et jusqu’en Chine ; ces chrétientés, connues par les documents de Tourfan et surtout par la stèle de Xi’an fu (Si-ngan-fou) [781], prolongeront leur existence au moins jusqu’au xe s. D’une manière générale, l’ère du califat de Bagdad fut une période faste pour l’Église nestorienne : de culture nettement sémitique, elle apparaissait à tous égards plus acceptable pour des musulmans que le christianisme byzantin. Les nestoriens jouèrent un rôle de première importance dans la transmission au monde arabe de la culture grecque antique, qu’ils avaient eux-mêmes assimilée, notamment dans le domaine scientifique (mathématique, astronomie, médecine) et pour la logique aristotélicienne.

La prise de Bagdad par les Mongols (1258), mettant fin à la longue décadence du califat ‘abbāsside, leur sera plus favorable encore, en facilitant leur expansion à travers la plus grande partie de l’Asie. L’avènement au trône catholicosal d’un moine d’origine mongole, Marc, qui prit le nom de Yahballāhā III (1281-1317), et la mission en Occident de son compagnon, le moine Rabban Ṣaumā (1287-1290), marquèrent l’apogée de cette expansion. La décadence devait bientôt venir, en même temps que celle des Mongols favorables aux chrétiens. Elle sera consommée avec la prise de Bagdad (1392), finalement dévastée en 1401 par Tīmūr Lang (Tamerlan). Le catholicos et les survivants des massacres trouveront refuge dans les montagnes du Kurdistān et dans la région du lac d’Ourmia (Rezāye), et établiront le siège catholicosal à Kotchannès. Les rivalités internes et l’hostilité croissante des Turcs et des Kurdes décimèrent à partir de 1840 ce qui restait de la chrétienté nestorienne ; la Première Guerre mondiale et ses suites lui portèrent les derniers coups. Après la création de l’Iraq en 1930, beaucoup de fidèles cherchèrent refuge en Syrie orientale (Djézireh). Finalement, en 1940, le catholicos — souvent appelé « Mār Chim‘un », du nom de l’apôtre Simon Pierre — se fixa aux États-Unis, à Chicago, d’où il gouverne, non sans difficulté, les quelque 100 000 chrétiens qui reconnaissent son autorité en Syrie et en Iraq ; s’y ajoutent environ 5 000 fidèles de l’Inde du Sud, qui ont rallié l’Église nestorienne à la suite de la scission suscitée au sein de la communauté catholique syro-malabāre en 1874 par l’évêque Jean Elie Mellus.