Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

nationalisation (suite)

La technique du « contrat de programme » (E. D. F., 23 décembre 1970 ; S. N. C. F.) marque la volonté d’alléger le contrôle « a priori » et de laisser plus d’initiative aux dirigeants de l’entreprise pour atteindre leurs objectifs. Une tendance analogue est marquée par la technique de gestion par programme. Ainsi, à Air France, l’activité de l’entreprise est elle-même décomposée en objectifs et programmes auxquels une enveloppe financière globale est affectée.

En définitive, non seulement les dirigeants de l’entreprise nationalisée bénéficient d’une plus large autonomie de gestion, mais, à l’intérieur même de l’entreprise, les responsables des divers programmes disposent aussi d’une plus large liberté d’action dans les limites des ressources qui leur sont affectées.

Il convient, enfin, d’aménager l’environnement en protégeant l’entreprise nationalisée contre une concurrence abusive, ce qui suppose de préciser les rapports entre secteur public et secteur privé (par exemple, politique de coordination des transports). La nouvelle logique du secteur nationalisé consiste, en somme, à « substituer à la confusion actuelle des moyens et des objectifs des entreprises et de l’État une distinction claire ». Il s’agit de permettre aux uns et aux autres d’accomplir leur mission avec le maximum d’efficacité.


La nationalisation, un détour inutile dans une société mixte ?

• Désormais, rien de ce qui est « économique » n’est étranger à l’État. C’est ainsi que, lorsqu’une situation de crise apparaît dans un secteur, l’État, au lieu de nationaliser l’entreprise, lui accorde une aide financière en contrepartie d’une soumission à des objectifs de réorganisation et d’un certain contrôle.

Le critère des fonds publics, selon M. Debbasch, « permet de recouvrir l’ensemble de l’action administrative [...], il peut aider à la réintégration devant le juge administratif de tous les aspects de cette action ». Le juge administratif tente, d’ailleurs, de récupérer le contrôle sur les interventions économiques de l’État, et notamment sur les entreprises nationalisées ; aussi, dans l’arrêt « époux Barbier » (15 janv. 1968), ce qui l’a emporté, ce n’est ni le caractère industriel et commercial de l’exploitation, ni la nature privée de l’organe de gestion, mais l’existence d’un service public qui doit être organisé dans les meilleures conditions pour satisfaire l’intérêt général. La distinction « administratif-industriel et commercial » s’efface devant le dénominateur commun du service public en voie de reconquérir son unité. De plus, les entrepreneurs privés ressemblent toujours davantage à leurs homologues du secteur public dans leur prétention à conserver leur liberté, tout en rejetant sur l’État la responsabilité suprême.

• L’État ne détient pas le monopole de l’intérêt général. À la différence des démocraties anglo-saxonnes ou scandinaves, l’intérêt général en France n’est pas conçu comme la résultante spontanée des intérêts de chacun, mais comme une vérité révélée qu’il y a lieu d’imposer d’en haut. Cela correspond au goût pour la centralisation et la gestion directe, ainsi qu’à une certaine méfiance à l’égard de tout ce qui est privé. Une solution moyenne peut être trouvée.

Une conception rénovée de l’État permettrait d’orienter les démembrements : l’État gardant l’animation, la réglementation, la sanction ; les organes décentralisés assurant la gestion. Ainsi, le phénomène de démembrement de l’Administration — notamment par la multiplication des filiales —, phénomène largement critiqué, correspond peut-être à un renouvellement nécessaire du visage de l’État. Il reste que la dépossession totale de la souveraineté de l’État semble illusoire.


Renouvellement de la problématique française des nationalisations dans le cadre de la C. E. E.

L’aventure européenne pose un triple problème au secteur public français ; une réforme pourrait précisément venir de la nécessité d’adaptation aux perspectives européennes.

• Existence et intégration : deux problèmes résolus. Le traité de Rome ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres. Toutefois, il découle des articles 37 et 96 que les entreprises publiques « ne se situent pas en dehors de l’ordre concurrentiel qui est le nôtre, mais sont soumises aux règles de la concurrence du traité exactement comme leurs concurrents du secteur privé ». La Cour de justice des communautés européennes a confirmé cette position dans une décision de principe à propos de l’ENEL en Italie.

Quant au problème d’intégration entre le secteur public et les autorités communautaires, l’empirisme a d’abord prévalu. Sur initiative française, on assista à la tenue de réunions tout à fait informelles entre dirigeants des entreprises publiques des pays de la C. E. E. Puis fut créé le C. E. E. P. (Centre européen de l’entreprise publique), la section française étant la première organisée, la section allemande la dernière. Le Centre est reconnu comme partenaire social et associé de façon quasi quotidienne aux travaux de la C. E. E.

La démystification de la nationalisation est appuyée par des facteurs objectifs, qui, dans la perspective européenne, la font apparaître moins nécessaire économiquement. Tant comme stabilisateur de conjoncture que comme régulateur structurel, le rôle du secteur public a été affaibli par l’ouverture des marchés. Par exemple, sa fonction de pouvoir compensateur en lutte contre les monopoles lui a été ravie par le pouvoir compensateur des firmes de nos partenaires.

Ainsi, « inscrite sinon dans le traité de Rome, du moins dans les textes qui l’interprètent, mise en pratique par les responsables nationaux les plus « dirigistes », soutenue par une opinion publique convaincue que « pour vaincre un rival il faut d’abord se rendre semblable à lui » (le défi américain), rendue fatale par l’irruption de la concurrence [...], la tendance à la reprivatisation de l’économie européenne par le dépérissement progressif du secteur public est encore à l’ordre du jour » (Q. Marchel).