Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

nationalisation (suite)

Le contrôle financier externe est, en premier lieu, assuré en France par un organisme spécialisé, la C. V. C. E. P. (Commission de vérification des comptes des entreprises publiques) — sauf compétence de la Cour des comptes si le comptable en est justiciable — ; la portée de ce contrôle est subordonnée aux mesures que les autorités de tutelle prendront à la suite de son rapport. En outre, le contrôle externe est exercé par des organes non spécialisés : le ministre de tutelle (notamment le ministre des Finances), les corps d’inspection, le Parlement et ses commissions.

En pratique, si les détournements de fonds sont très rares et si la régularité juridique des opérations financières est généralement observée, il serait téméraire d’affirmer que la gestion des entreprises nationalisées est parfaitement efficace. Le contrôle de la régularité financière ne doit pas être dissocié, en effet, de celui de l’efficacité économique ; or, l’excès de contrôle noie la responsabilité. Dans ces conditions, où est le pouvoir ? Appartient-il à l’État ou, doit-on plutôt parler d’une certaine forme de « technocratie irresponsable » ? Dans la mesure où il n’y a guère de mise en jeu de la responsabilité personnelle des administrateurs de l’entreprise nationalisée, le pouvoir semble appartenir à la direction générale. Son titulaire est un technicien désigné ou agréé par le gouvernement.

Le conseil d’administration est essentiellement consultatif. Il peut s’ensuivre une sorte de technocratie ou de gouvernement des ingénieurs. Les techniciens passent du ministère de tutelle à l’entreprise nationalisée et de l’entreprise nationalisée aux commissions du Plan, où ils préparent les programmes qu’ils vont être chargés d’appliquer. En réalité, l’hypothèse d’une gestion technocratique des entreprises nationalisées concorde avec les faits : le souci de la performance semble l’emporter sur celui du prix de revient.

• L’entreprise nationalisée à la charge de la nation ? Le procès des entreprises nationalisées peut apparaître comme un mauvais procès : héritières d’un passé souvent très défavorable, celles-ci n’ont pas à discuter de la légitimité des options qui leur sont imposées et les dépassent. Elles ne sont pas maîtresses du volume de leurs investissements, du taux des salaires, des tarifs. Le décalage avec la stricte logique économique du profit a un effet « anesthésiant » sur l’usager ; celui-ci considère comme normal le cadeau qui lui est fait et s’insurge face à de nécessaires augmentations de tarifs motivées par un déficit exagéré.

La situation financière des entreprises nationalisées est, de ce fait, souvent peu satisfaisante. L’insuffisance des ressources propres est génératrice d’un déséquilibre de la gestion et d’une dépendance vis-à-vis de l’emprunt et des dotations budgétaires. Les situations particulières varient : des entreprises à exploitation équilibrée n’arrivent cependant pas à autofinancer leurs investissements (E. D. F., G. D. F.) ; d’autres ne parviennent pas à équilibrer leur exploitation (S. N. C. F., R. A. T. P.).

La nationalisation n’a gardé ni la portée politique ni la portée économique qui lui étaient assignées à la Libération. Le vrai malaise de l’entreprise nationalisée semble provenir de ce qu’elle ne s’accorde ni avec le système économique ni avec le système politique actuel de la France.

Le « rapport Nora » met en évidence que les contraintes peu délibérées et les transferts aveugles sont anachroniques. Face aux contraintes très rigoureuses dues à la compétition internationale, le blocage des tarifs paraît une arme anti-inflationniste assez légère ; on peut également s’interroger sur l’opportunité d’une politique innommée de transferts sociaux par tarifs réduits ; quant à l’utilisation de la capacité d’emploi du secteur nationalisé à des fins sociales, il faudrait plutôt lui substituer une politique de meilleur emploi, c’est-à-dire de mobilité. En définitive, les résultats sont obscurcis, et les décisions faussées ; une conception trop extensive ou non modernisée du service public supprime tout critère de bonne gestion. L’entreprise nationalisée paraît une « enclave régie par des lois à part » (rapport Nora). L’autorité du pouvoir, les ressources financières de l’État et la priorité de l’intérêt général sont utilisées pour l’affranchir des lois habituelles du marché.


Une mutation : l’entreprise nationalisée concurrentielle

• La tombée des privilèges. L’objectif est la rationalisation financière ; il s’agit d’accroître la rentabilité et de tendre vers l’équilibre financier. Par la politique des contrats de programme, les avantages financiers sont la contrepartie d’efforts d’équilibre et de rentabilité : la S. N. C. F. doit d’abord concentrer son activité sur les secteurs rentables et réaliser les adaptations et les conversions nécessaires ; le recours à l’emprunt sera limité. Par ailleurs, la nouvelle politique vise à une plus grande sélectivité dans l’attribution des crédits budgétaires, limités en volume et concédés par priorité pour la réalisation du contrat de programme. À l’inverse, les privilèges étant souvent la contrepartie d’obligations, la politique poursuivie consiste à mettre l’entreprise publique en situation de concurrence.

• L’éviction de l’économie de commandement. L’affaiblissement du contrôle oppresseur des entreprises nationalisées dépend largement de leur politique tarifaire. La politique actuelle retient le principe d’un report des charges du contribuable sur l’usager et le principe d’une politique de tarifs plus élevés.

Il reviendrait à l’État de compenser les contraintes éventuellement imposées pour servir sa politique sociale ou régionale ou bien de leur trouver des substituts en toute connaissance des coûts relatifs. Le rétablissement progressif de l’équilibre du compte d’exploitation devrait permettre l’allégement du contrôle financier ; néanmoins, celui-ci ne pourra disparaître, car le financement des investissements ne peut être totalement assuré par les ressources propres des entreprises.