Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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musique (suite)

Les deux renaissances de la musique française

Après une période de stagnation, la France doit son réveil à Berlioz*, son seul romantique. Génie authentique, esprit bouillonnant, inventeur de formes, comme le « théâtre symphonique » avec Roméo et Juliette (1839), créateur de l’orchestre moderne (son traité d’instrumentation de 1844 fut un modèle pour les « cinq Russes », pour V. d’Indy et pour R. Strauss), initiateur de certains concepts sonores, tels les quatre groupes de cuivres se répondant dans le Tuba mirum de son Requiem, Berlioz laisse une œuvre originale, haute en couleur, où brillent la Damnation de Faust, les Troyens, la Symphonie fantastique (1830), une date dans l’histoire de la musique. Un thème, l’« idée fixe », qui symbolise une femme, y circule, modifié dans toutes les parties, inaugurant le leitmotiv, la forme cyclique. C’est déjà une manière de poème symphonique, dont Liszt retiendra les leçons quand il illustrera (Saint-Saëns après lui) cette forme de façon magistrale (les Préludes, Faust-Symphonie). De Berlioz, tronc commun, vont proliférer deux branches. Celle du théâtre lyrique voit éclore l’opéra-comique de demi-caractère avec Gounod*, auteur de Faust, avec Bizet*, chantre de Carmen — deux partitions qui ont gardé leur pouvoir —, avec Massenet* (Werther), Léo Delibes (Lakmé), E. Chabrier* (le Roi malgré lui). Puis viennent les réalistes Alfred Bruneau (le Rêve) et Gustave Charpentier (Louise), enfin le dernier chef-d’œuvre de l’opéra-comique français, Mârouf d’Henri Rabaud. La seconde branche va assurer la floraison de la musique symphonique et de chambre avec Saint-Saëns* et César Franck* en face d’un théâtre envahissant, souvent stéréotypé et prisonnier du bel canto (l’opéra historique avec Meyerbeer), et qui a l’oreille du public. Par la nouveauté de son harmonie, le charme de sa mélodie, la nouveauté de ses conceptions architectoniques (plan tonal, forme cyclique), par la noblesse de son caractère d’homme désintéressé, Franck a été un pôle d’attraction pour toute une jeunesse d’avant-garde. Ses disciples, Duparc*, immortalisé par ses mélodies, Vincent d’Indy*, Ernest Chausson (1855-1899), Guillaume Lekeu (1870-1894), Guy Ropartz (1864-1955), assureront à la musique en France, sans oublier les apports de Lalo*, de Saint-Saëns, de Chabrier, de G. Fauré, une première renaissance, celle des années 80, fastes pour la symphonie française, la musique de chambre. Son foyer est la « Société nationale de musique », fondée au lendemain de la défaite de 1870 et dont la devise « Ars gallica » précise sa vocation : défendre l’art français contemporain. Un second renouveau va éclore avec l’apparition du météore Debussy*, l’un des plus grands novateurs du langage musical, qu’il transfigure en une dizaine d’années. Avec le quatuor de 1893, fidèle encore à la forme cyclique de Franck, Debussy fixe de nouvelles normes à la musique de chambre ; au poème symphonique, avec le Prélude à l’après-midi d’un faune (1894), qui rompt avec tout ce qui a précédé ; au lied, avec les Chansons de Bilitis (1897), à la prosodie parfaite, loin de l’éloquence, à laquelle, selon le conseil de Verlaine, il a « tordu son cou » ; à la suite d’orchestre, avec les Nocturnes (1899) ; au drame lyrique, avec Pelléas et Mélisande (1902), une révolution ; au piano, avec les Estampes (1903), qui annoncent les Préludes, plus tardifs et où le clavier se mue en orchestre (Ce qu’a vu le vent d’ouest). La courbe mélodique délivrée de sa carrure, l’harmonie dégagée des contraintes classiques, l’orchestre translucide grâce à l’usage de tons purs (solo de flûte, hautbois, clarinette, etc.), un développement non plus thématique, mais par prolongement, un climat inédit, autant d’éléments qui surgissent à la fois dans l’Après-midi d’un faune, une rupture avec le passé. On peut y ajouter le sens de l’intériorité, l’approfondissement psychologique de Pelléas, la prospection que représente le ballet Jeux (1912), inspirateur de Webern, et les Études (1915), pour compléter le rôle immense joué par Debussy, qui, peut-être, a pu s’appuyer sur l’impressionnisme russe du « groupe des Cinq* », où domine Moussorgski*, et sur certaines prophéties de Satie* (Gymnopédies de 1888). Autour de Debussy, sans être des épigones, se situent des compositeurs qui ont peu ou prou bénéficié de ses découvertes : Paul Dukas*, le constructeur de l’Apprenti sorcier, Florent Schmitt*, le véhément du Psaume XLVII, Ravel*, haute personnalité dont les formes classiques (quatuor, trio, sonate) servent de cadre à un langage d’une rare infaillibilité dans sa séduction, son éclat. Si éblouissante soit une école, si parfaites soient ses productions, l’art ne saurait se figer sous peine d’académisme. L’impressionnisme français (terme commode non admis par tous), qui a su rallier l’Espagnol M. de Falla*, l’Italien Ottorino Respighi (1879-1936), connaîtra vite une réaction avec Pierrot lunaire de Schönberg* (1912), le Sacre du printemps de Stravinski* (1913). Cette œuvre révolutionnaire introduit des superpositions d’accords d’où naîtra le concept de la polytonalité. Outre le tumulte sonore, qui, souvent, porte à l’incandescence un orchestre important, l’asymétrie de la métrique introduit des rythmes violents, des heurts, un dynamisme qui fera école. Après la période russe, qui s’achève avec les Noces (1923), le musicien construira ses œuvres, certes personnelles, à partir de modèles souvent classiques (Bach, Händel, Tchaïkovski), accentuant ainsi une tendance qui s’affirme déjà, le néo-classicisme.


Le premier après-guerre

Les événements de 1914-1918 n’ont guère arrêté l’évolution de la musique. Le « groupe des Six* » (G. Auric, L. Durey, A. Honegger, D. Milhaud, F. Poulenc, G. Tailleferre), constitué en 1920 autour de Satie et de Cocteau, ne professe guère d’esthétique commune, si ce n’est l’opposition à l’impressionnisme. Très vite, ses membres suivront des voies distinctes selon leur tempérament propre : un Milhaud* chantant sa foi juive comme sa Provence natale ; un Honegger*, rénovateur de l’oratorio (le Roi David), traduisant les mythes de son temps, la machine et la vitesse avec Pacific 231, le sport avec Rugby, la foule avec Cris du monde ; Poulenc* gardant le ton d’une espièglerie qui a sa poésie. Mais une figure très attachante, Albert Roussel* (1869-1937), a déjà joué alors le rôle difficile de novateur à une époque de transition en tant que trait d’union entre l’impressionnisme finissant et les écoles suivantes. À peine effleuré par l’art de Debussy, il s’affirme très vite en des constructions d’une robuste santé, d’un rythme péremptoire, riches d’une mélodie généreuse et personnelle : Suite en « fa » (1926), les quatre symphonies, le ballet Bacchus et Ariane. Créateur du néo-classicisme français, il avait déjà donné toute sa mesure dès 1914 dans son opéra-ballet Padmâvatî, sombre, tragique, où se rencontrent d’audacieuses agrégations, comme celle qui souligne le mot mort.

À soixante ans, il apparaît comme le contemporain de jeunes musiciens qui se rattachent à ce nouveau classicisme : Hindemith* en Allemagne, Prokofiev* et Chostakovitch* en Russie.