Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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musique (suite)

Deux querelles esthétiques au xviiie siècle

Le théâtre de Lully et de Rameau mettait en scène les héros de la mythologie, les grands de la terre. Le public manifestait un commencement de désaffection pour le genre, désirant des sujets plus simples, des personnages plus proches de la vie quotidienne, un art moins savant, plus direct. Une représentation de la Servante maîtresse de Pergolèse à l’Opéra en 1752 rencontre un tel enthousiasme que Paris va se diviser en deux clans. C’est la « querelle des bouffons* », qui oppose la musique italienne à la française, l’opéra bouffe* aux spectacles de Lully et de Rameau, contre lesquels J.-J. Rousseau a su rallier ses amis encyclopédistes. La querelle atteint son paroxysme quand celui-ci publie sa Lettre sur la musique française, tout ensemble partiale et fondée. Au vrai, avec l’opéra-comique* naissant s’amorce une réaction contre la Cour, prodrome de la révolution qui se prépare parallèlement à l’action des philosophes. Monsigny, Philidor, Nicolas d’Alayrac donnent les premiers modèles du genre, dont Grétry* créera les premiers chefs-d’œuvre et que Mozart*, son admirateur pour la vérité prosodique, l’expression dramatique, portera à la plus haute perfection dans ses « singspiels » avec l’Enlèvement au sérail (1782), les Noces de Figaro (1776). Une autre querelle, en 1786, oppose de nouveau les tenants de l’opéra italien, les « piccinnistes », aux « gluckistes », partisans des réformes que Gluck*, aidé de son librettiste Calzabigi, apporte au drame lyrique : chœurs et ballets intégrés à l’action qui commande les élans, les accalmies de la déclamation, elle-même traductrice des mille nuances de l’expression de la vie ; plus de virtuosité vocale gratuite, d’ornements superflus ; union de la poésie et de la musique au service d’une articulation dramatique simple, directe, humaine. Paris, entre 1774 et 1777, applaudit les versions françaises d’Iphigénie en Aulide, d’Orphée et Eurydice, d’Armide, synthèse habile de l’opera seria italien et de la tragédie lyrique française. Les antagonistes de Gluck eurent l’idée de lui opposer, en une sorte de tournoi qui consistait à traiter un même sujet, Iphigénie en Tauride, un musicien certes de valeur, Niccolo Piccinni. L’œuvre de Gluck, en 1779, alla aux nues ; la comparaison avec celle du rival, deux ans plus tard, fut désastreuse. Ainsi se termine cette seconde querelle, prolongeant en réalité celle des « bouffons », appelée aussi « guerre des coins », et qui, cette fois, oppose dans la salle de l’Opéra, aux détracteurs de Gluck, le clan de la reine Marie-Antoinette, fidèle à son ancien maître.


L’âge classique : trois maîtres à Vienne

Le Concert spirituel des Tuileries, fondé en 1725 à Paris par Anne Philidor, l’école de Mannheim* avec Johann Stamitz, obtenant de son orchestre discipliné un nuancement, des crescendos qui enthousiasment le jeune Mozart, montrent l’attrait pour la symphonie classique naissante. Malgré les exemples français (Gossec), italiens (Sammartini), allemands (Stamitz), c’est l’Autrichien Joseph Haydn* qui en concevra les premiers chefs-d’œuvre. Vienne peut s’enorgueillir d’avoir en ses murs non seulement ce maître, auteur de plus de cent symphonies, de nombreuses sonates, créateur du quatuor d’archets, mais, au surplus, son successeur, le non moins génial Mozart avec ses 49 symphonies, enfin Beethoven*, classique au départ, mais qui, dans ses symphonies, ses sonates, ses quatuors, lutte de tout son tempérament de titan pour intégrer à des formes existantes une pensée tumultueuse, reflet du drame humain — angoisse, révolte, espoir — grâce à un style riche de contrastes, souvent heurté, violent, qui rompt avec le rythme continu classique et use du silence en tant qu’élément esthétique.

Ne portant plus perruque (comme Haydn et Mozart), préromantique, Beethoven incarnera l’idéal de la Révolution* française, qui n’avait trouvé en ses chantres nationaux que des musiciens de second plan.


Le romantisme

Le xviiie s. est celui des « lumières », du rationalisme, des encyclopédistes ; 1789 a libéré l’homme politiquement, et le romantisme spirituellement. Aux cadres rigides du classicisme s’oppose la libre fantaisie, au « moi haïssable » de Pascal la « sensibilité », le culte de l’instinct. Sans oublier J.-J. Rousseau et son retour à la nature (la Nouvelle Héloïse), le mysticisme de Chateaubriand, il faut reconnaître que l’Allemagne, préparée par la mise en valeur du lied populaire grâce à Herder, par les ballades de Goethe et de Schiller, sera la terre d’élection du romantisme. Ses poètes questionnent les secrets de l’univers, de l’âme, se complaisent à l’esprit de la nuit (Novalis), font revivre les vieilles légendes où les puissances occultes, le cor magique créent le merveilleux. C’est précisément ce climat qui se retrouve dans les opéras de Weber*, dans le Freischütz de 1821, dans l’Oberon de 1826, par où le musicien entendait réagir contre le théâtre italien, alors omnipotent. En fait, Weber a doté son pays d’un opéra allemand populaire. Wagner* n’est pas très loin de ce premier romantique s’il emprunte ses livrets à la mythologie de l’Edda, des Nibelungen, aux romans du cycle breton. Certes, il use d’une polyphonie plus riche, de ce récitatif, mieux de cette « mélodie continue », qui, néanmoins, cache parfois des airs (héritage de l’ancien opéra) habilement intégrés, comme la « romance du printemps » dans la Walkyrie, le « chant de la forge » dans Siegfried, la « mort d’Isolde ». Le leitmotiv qui circule dans toute l’œuvre symbolise personnages, idées, lieux, objets et constitue le fond de la matière sonore. L’harmonie, novatrice, souvent chromatique, exploite (tout comme chez Liszt) les ressources de la tonalité élargie, riche de modulations.

À l’orchestre considérablement agrandi (120 exécutants) se développe véritablement l’action, et le chant semble y prendre souvent sa place pour éclairer, par le texte, le déroulement du drame. Richard Strauss*, bien que personnel, reste dans l’orbe du « drame symphonique wagnérien ». Si son orchestration est plus virtuose, le goût est parfois moins sûr malgré l’opulence de Salomé (1905), la violence d’Elektra (1908). Strauss a écrit plusieurs poèmes symphoniques, où brille particulièrement Till Eulenspiegel (1895). Toutefois, le romantisme allemand a trouvé son expression la plus originale dans les lieder, qui font directement appel à sa poésie. Dans ce domaine, Schubert*, Schumann*, Brahms*, Hugo Wolf* ont laissé d’incomparables chefs-d’œuvre. Pour la symphonie, le mouvement romantique garde comme point de départ l’exemple de Beethoven, à qui doivent un Schubert, un Mendelssohn, un Schumann, un Brahms, malgré l’élan nouveau de leur phraséologie, le climat sombre, la mélancolie qui teinte parfois leurs pages. Bruckner* et Mahler*, plutôt wagnériens que beethovéniens, s’inscrivent dans une manière de post-romantisme. L’aile fiévreuse du romantisme a touché l’art si varié, si personnel de Chopin*. Celui-ci renouvelle totalement la technique du clavier, les rythmes, les harmonies, et, s’il s’inspire du chant italien d’un Vincenzo Bellini, son œuvre reste d’une originalité absolue. Liszt*, par ses prouesses de virtuose, développera encore cette éblouissante technique, tant dans ses Études d’exécution transcendante d’après Paganini que dans ses pièces poétiques.