Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Murasaki Shikibu (suite)

Mais le Genji-monogatari n’est pas un roman d’amour : si les aventures sentimentales tiennent une place prépondérante dans ces premiers chapitres, déjà s’y dessinent le plan politique et la lutte pour le pouvoir, qu’elles masquent à peine. Dès la fin du premier livre, nous voyons le héros marié par son père, dans sa douzième année, à la fille du puissant ministre de la Gauche, chef de l’un des deux clans qui se disputent la tutelle du souverain. Son père mort, son frère aîné sur le trône, le pouvoir passe au ministre de la Droite. Une intrigue imprudemment nouée avec une fille de celui-ci, destinée au gynécée impérial, le contraint à l’exil. Trois années passées loin de la ville le mûrissent, et c’est un tout autre homme qui revient à la cour lorsque l’empereur, à la mort du ministre, le rappelle.

2. Du livre XIV au livre XXXIII : conseiller écouté de son frère, ministre tout-puissant après l’abdication de ce dernier, à qui succède le jeune prince, fils ignoré du Genji, il met tout en œuvre pour éviter un nouveau revers de fortune ; les amours passent au second plan et ne viennent plus guère ternir l’harmonie d’une union sans nuages avec Murasaki. Profond politique, le prince fait adopter et élever par elle une fille née de ses amours avec une dame d’Akashi, lieu de son exil, fille dont il médite, selon la meilleure tradition des Fujiwara, de faire un jour une impératrice, consolidant ainsi la puissance de son parti. Sa vie sentimentale cependant est loin d’être achevée : nous retrouvons les femmes qu’il a aimées et qu’il a rassemblées dans son palais, où elles mènent une vie heureuse ; il tentera, en vain, de séduire une princesse orgueilleuse qui avait jadis repoussé ses avances ; enfin, il retrouve et « adopte », dans des conditions pour le moins ambiguës et qui ne manqueront pas de troubler la sérénité de Murasaki, la fille, disparue vingt ans plus tôt, de la touchante Yūgao, morte entre ses bras, étouffée par l’« esprit de jalousie » d’une rivale. Pour des raisons qu’il n’ose s’avouer, il ne révélera l’existence de la jeune fille à son véritable père, cousin et ami de jeunesse du Genji, qu’une fois qu’elle aura cédé à l’un des prétendants qu’il a lui-même introduit chez elle.

3. Du livre XXXIV au livre XLI : une nouvelle fois, le roman change de sens et de visage. Pris au piège de son ambition et de la raison d’État, le Genji est contraint de recueillir une princesse, fille de son frère, l’empereur retiré, et d’en faire, malgré qu’il en ait, sa femme principale au grand dépit de Murasaki. Le prince n’est plus le « héros d’amour », mais un homme d’âge mûr fort embarrassé par la présence de cette fillette de treize ans que les us du monde lui imposent de traiter en épouse. Quand il découvrira un peu plus tard que l’enfant qu’elle attend ne peut être de lui, il ne l’en reconnaîtra pas moins pour sien, car il voit dans sa mésaventure une juste rétribution de l’insulte infligée jadis à son propre père. Il est à remarquer, toutefois, que son attitude ne découle pas de la croyance en quelque châtiment céleste, mais du sentiment tout humain de la nécessité d’une sorte d’équilibre et de justice morale. Cependant que les coupables, accablés par cette générosité pour eux incompréhensible, trouvent en eux-mêmes leur propre châtiment : l’amant meurt torturé par le remords, et la femme entre en religion. Quand au Genji, désabusé, accablé bientôt par la mort de Murasaki, il songe lui aussi à se retirer du monde.

Au commencement du livre XLII, nous apprenons que le prince est mort. Des années se sont écoulées. Kaoru est devenu un adolescent mélancolique que la révélation du secret de sa naissance achèvera de dégoûter du siècle, convaincu qu’il est qu’une sorte de malédiction pèse sur lui. Il incline à la vie religieuse, mais les tourments d’amour ne lui seront pas épargnés. Indécis, il hésitera entre les trois filles du prince d’Uji, mais chaque fois il se verra préférer le même rival, le jeune prince Niou, petit-fils du Genji. La sœur aînée, qui avait sacrifié son propre amour pour Kaoru au bénéfice de la cadette, meurt sous ses yeux, lui révélant l’existence d’une forme de passion sublime. La troisième, séduite par Niou, mais qui elle aussi aime en secret l’instable Kaoru, se jette à l’eau pour échapper à ce tragique dilemme. Sauvée par des passants, elle se retire dans un ermitage où elle s’efforce d’oublier les attachements mondains.

Trouvera-t-elle la paix, ainsi que son soupirant malheureux ? Nous ne le saurons jamais, car, sur ce dernier épisode dans le meilleur style romantique, le roman se termine soudain sans que rien ne laisse prévoir cette fin brutale et définitive comme la mort d’un être humain — et peut-être en effet fut-ce la mort de l’auteur qui en interrompit le cours.

R. S.

➙ Japon.

Murat (Joachim)

Maréchal de France, roi de Naples (Labastide-Fortunière [auj. Lahastide-Murat] 1767 - Pizzo, Calabre, 1815).



L’homme

Ce fils d’un aubergiste est le dernier-né d’une famille de douze enfants. D’abord destiné par son père à la prêtrise, il s’engage (1787) dans un régiment de cavalerie, d’où il est renvoyé deux ans plus tard pour indiscipline. Reprenant du service, il entre dans la garde constitutionnelle du roi, est nommé officier (1792), mais ses idées politiques le poussent vite à quitter ce « lieu infect » (c’est son mot). Ce jacobin convaincu raconte alors que son vrai nom est Marat et qu’il est cousin du grand patriote. Après Thermidor, il niera avec la même énergie cette parenté imaginaire. La journée du 13-Vendémiaire, où il sauve la Convention en amenant l’artillerie de la plaine des Sablons, donne au jeune chef d’escadron l’occasion de connaître Bonaparte. Celui-ci l’appelle près de lui comme aide de camp : la prestance et l’audace de ce joli garçon l’ont séduit. Pendant toute la campagne d’Italie, le magnifique cavalier qu’est Murat se fait remarquer par ses charges impétueuses. En Égypte, ses prouesses lui valent le grade de général de division (1798). Il est désormais tout acquis à Bonaparte. Le 19-Brumaire, il rétablit la situation en expulsant les députés de l’Orangerie de Saint-Cloud.