Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

motet (suite)

Il ne sera pas vain de signaler que l’Italie du trecento, éblouie par les prouesses rythmiques des tenants français de l’Ars nova, a boudé le motet, qui était pourtant le fer de lance de cette esthétique, et, par penchant naturel sans doute pour l’expressivité mélodique, les compositeurs italiens ont opté pour l’art moins ratiocinateur de la ballata et du madrigal.

Cette remarque permet de comprendre la rupture qui se produit au début du xve s. dans l’histoire du genre. Si les premiers motets de la nouvelle école, qui sera illustrée par John Dunstable et Guillaume Dufay*, se ressentent encore de l’appétit de complexité si cher au xive s. français, nul doute que l’apport de la brillante école italienne du trecento dans le domaine mélodique n’ait été un facteur déterminant de transformation du motet, qui se libère rapidement des vieilles contraintes de l’isorythmie. En outre, un désir évident de simplification se manifeste dans les paroles. Les mélanges de latin et de français sont de plus en plus rares : l’unification se fait — chose inattendue — au profit du latin, en même temps que le motet, rejoignant ses origines, tend à redevenir une œuvre religieuse. Enfin, la teneur elle-même, dont l’absence ne pouvait jusqu’alors être imaginée, puisque l’édifice reposait sur elle, en vient à n’être plus indispensable. De ce fait, sans être déjà harmonique, la composition d’un motet ne peut plus être imaginée comme la superposition successive de différentes voix, mais bien comme une composition simultanée, dans laquelle les voix supérieures n’ont plus à calquer leur démarche sur la teneur imposée. Ainsi sont rompues les dernières amarres qui reliaient le motet du xve s. à celui des siècles précédents.

Revenu au culte, le motet ne le quittera jamais plus. Après Dufay, Ockeghem* va accentuer plus encore, dans la seconde moitié du xve s., l’homogénéité du tissu harmonique en uniformisant de façon absolue les valeurs de notes du haut en bas de l’échelle sonore. Les imitations entre les voix deviennent donc possibles. On peut dire qu’alors est créé le motet où s’illustreront jusqu’au xviie s. tous les compositeurs de la Renaissance en Europe occidentale et dont les plus grands noms sont Josquin Des* Prés, Obrecht*, Palestrina*, Victoria*, Lassus*. C’est l’apogée du motet polyphonique vocal (le plus souvent à quatre ou cinq voix), forme religieuse libre, non intégrée au culte, mais y trouvant toujours place, prenant souvent appui sur le texte des psaumes comme étant plus apte que les textes fixes du commun à mêler au sentiment religieux une émotion humaine.

À partir de 1600, l’évolution générale de la musique vers la monodie accompagnée par des instruments (clavecin ou orgue) qui prennent à charge les voix inférieures affecte aussi le motet. On peut constater le même processus que pour le théâtre. Dans l’opéra naissant, héritier du madrigal dramatique, on trouve à la fois des monodies accompagnées, substituant à l’expression collective des sentiments l’expression personnalisée, et des chœurs qui, au lieu d’être exécutés a cappella comme naguère, s’adjoignent les ressources sonores de la sinfonia. De même, le motet se présentera dorénavant sous deux formes. Sur les mêmes textes que précédemment, on écrit soit un petit motet à une ou deux voix sur basse continue (comme le font en France des auteurs comme Jean Veillot et Gobert et plus tard François Couperin*), soit un grand motet, sorte de cantate qui fait appel à toutes les ressources de la voix soliste, des chœurs et de l’orchestre. Bien que ce soit l’Italie, semble-t-il, qui ait connu les débuts du motet dit « concertant » avec Ludovico Grossi da Viadana, c’est surtout en France qu’il va connaître le plus grand développement, accaparant à lui seul la place que tiennent ailleurs l’oratorio et la cantate. Forgé par Henry Du* Mont, le cadre définitif du grand motet s’impose pour près de deux siècles au monde musical. Vaste composition destinée à meubler un office, ce grand motet, écrit le plus souvent sur le texte d’un psaume, présente une alternance de passages purement instrumentaux (prologue, interludes) et de versets confiés soit au grand chœur de quatre, cinq, six et même huit voix, soit à des voix solistes, ou encore à des petits chœurs composés de solistes diversement groupés. S’y sont illustrés des compositeurs comme J.-B. Lully*, M.-A. Charpentier* et surtout M.-R. Delalande*. Son succès fut si grand que, sortant de l’église, il poursuivit une carrière mondaine en devenant au Concert spirituel des Tuileries, durant tout le xviiie s., l’élément le plus important des programmes ; c’est là que furent exécutés les grands motets d’André Campra*, Nicolas Bernier, Henri Madin, Mondonville*, Charles Hubert Gervais, Esprit Blanchard, Jean-François Lesueur.

La production étrangère la plus proche du grand motet français est l’antienne anglaise (anthem) avec soli et chœurs, dans laquelle s’illustrèrent H. Purcell*, puis G. F. Händel*. Pendant ce temps, l’Italie, sans négliger totalement le motet, comme le montrent les compositions de Cavalli*, Carissimi*, Giovanni Legrenzi (1626-1690), Pergolèse*, s’oriente plutôt vers l’oratorio. Quant aux pays germaniques, au carrefour des influences, ils cultivent à la fois le style sévère, en pratiquant un solide contrepoint, et la déclamation expressive : c’est le cas de H. Schütz* et surtout de J.-S. Bach*. Mais c’est plus dans la cantate que dans le motet que cette double recherche trouvera son épanouissement.

On ne peut nier — malgré l’existence de beaux motets de Haydn*, Mozart* ou Schubert* — que la musique religieuse a connu à partir de la fin du xviiie s. une période de décadence. Si la messe fournit encore au début du xixe s. l’occasion de compositions grandioses, le motet cesse d’être une forme importante de l’activité musicale. La contamination de l’expression profane nuit plus qu’en d’autres temps à l’expression d’un sentiment religieux authentique. Il faudra attendre les années 1820-1830 pour que, sous l’influence de personnalités comme Alexandre Choron (1771-1834), puis plus tard Louis Niedermeyer (1802-1861), Charles Bordes (1863-1909), V. d’Indy*, le public redécouvre, grâce à l’audition d’œuvres anciennes, le goût pour une véritable musique sacrée. Cette influence bénéfique trouve un écho chez les compositeurs, et, à partir de 1870, se manifeste un renouveau qui s’exprime dans des motets soit monodiques avec accompagnement, soit polyphoniques avec accompagnement, ou même a cappella (C. Gounod*, C. Franck*, G. Verdi*, C. Saint-Saëns*, A. Bruckner*). Aujourd’hui même, sans être redevenu l’une des préoccupations majeures de la création musicale, le motet conserve une place fort honorable dans la production contemporaine (F. Schmitt*, Z. Kodály*, F. Poulenc*, I. Stravinski*, M. Dupré, G. Migot et B. Britten*).

B. G.