Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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motet

Né il y a huit siècles, le motet survit encore aujourd’hui, mais son histoire a connu tant d’avatars qu’il est impossible d’en donner une définition qui réponde à toutes ses mutations.


Ce terme recouvre en effet des réalités si contradictoires que seul l’examen de ce qu’il est au cours des siècles permet d’en connaître la nature et la destination aux divers moments de son existence.

Les premiers motets apparaissent soudain et en grand nombre dans les plus fameux manuscrits du xiiie s. (le H 196 de Montpellier, celui de Bamberg et le Pluteus 29 de Florence). Le genre est dès alors constitué, sans que nous soit parvenu un seul témoignage d’essai plus ou moins achevé, de tentative plus ou moins heureuse. Nous en verrons plus loin la raison. Le motet se présente alors comme une œuvre courte, polyphonique, dont la voix la plus grave se distingue, même visuellement, du fait que les valeurs des notes sont plus longues, d’une part, et que d’autre part le plus souvent on n’y trouve comme paroles qu’un incipit latin d’un ou deux mots (Aptatur ; Veritatem ; In seculum). C’est que cette voix aux notes longues (et nommée pour cette raison teneur ou cantus firmus) n’est qu’un bref fragment emprunté au plain-chant, texte et musique, dans lequel le compositeur n’intervient que pour lui imposer un mode rythmique (trochée, ïambe, tribraque, etc.) et introduire des figures de silence qui dénaturent son flux rythmique. Au-dessus, on écrit, en valeurs plus brèves, une mélodie dotée de paroles et — peut-être pour cette raison — appelée motetus. Le motet est alors dit « double ». Mais il peut être aussi triple ou plus rarement quadruple, si on ajoute encore une ou deux autres voix. Ces voix inventées sont toutes pourvues de textes à raison d’une syllabe par note, ce qui entraîne que, le nombre de notes n’étant que rarement le même d’une voix à l’autre, les textes sont différents.

Si nous ne possédons aucun balbutiement dans ce genre, c’est que le motet a pris naissance au sein même d’une polyphonie déjà élaborée, l’organum à vocalises. Malgré l’absence de certitudes, on s’accorde à reconnaître que le départ de la forme n’est autre que l’utilisation à des fins nouvelles de clausules d’organum (sections écrites en déchant, éléments de la diaphonia organica) tropées, c’est-à-dire auxquelles on a adapté des paroles. Il n’est pas impossible que ces clausules aient été exécutées avec leurs paroles à l’intérieur de l’organum, dont les vocalises ont pu paraître parfois insipides. Cela était d’autant plus logique que les paroles ajoutées n’étaient, dans les débuts, qu’une paraphrase du sens du motteneur. Et comme le renouvellement de l’organum se faisait par l’intérieur, c’est-à-dire par la substitution, à l’ancienne clausule, d’une autre clausule, on devine que l’esprit inventif des compositeurs ait pu être sollicité par cette nouveauté qui, à l’intérêt musical, adjoignait un intérêt littéraire et poétique.

Très tôt, le motet s’est détaché de la forme mère et, devenu un but en soi, a pris de plus en plus de liberté avec ses origines. Au latin s’est progressivement substitué le français, et la poésie religieuse a fait place le plus souvent à des préoccupations fort profanes. La transformation fut longue et des réemplois se produisirent. C’est la raison pour laquelle parfois latin et français se mêlent dans ce genre, ainsi que les inspirations religieuses et profanes : il arrive, en effet, que le duplum chante un texte édifiant en latin, tandis que le triple tient des propos amoureux, voire grivois en langue vulgaire. Malgré son origine religieuse, le motet est donc devenu durant le xiiie s., c’est-à-dire la période appelée Ars* antiqua, une forme surtout profane dont se délectait une société raffinée qui se complaisait dans la recherche des rapports symboliques établis entre des textes très divers et le mot-teneur à partir duquel s’élaborait le motet.

Le xive s. n’apporte pas de transformation profonde au genre : il le perfectionne en systématisant ce qui s’y trouvait en germe et en le faisant profiter des modifications apportées à l’idéal sonore. De double ou triple — c’est l’immense majorité des cas au xiiie s. —, le motet passe à quatre voix sans devenir quadruple, en ce sens que la ligne ajoutée n’est pas une voix organale au-dessus du triple, mais une voix inférieure à la teneur et écrite avec des notes de durée comparable, la contre-teneur. L’équilibre sonore de cet Ars* nova devient donc tout autre. Les quatre voix s’opposent en deux paires : les deux voix inférieures, teneur et contre-teneur — sans doute confiées aux instruments — constituent un fondement solide au-dessus duquel évoluent les deux voix légères, qui conservent leur appellation, devenue sans fondement, de double et de triple.

Nous avons dit que, dans le motet de l’Ars antiqua, le fragment mélodique de plain-chant servant de teneur était soumis à un traitement rythmique élémentaire qui en modifiait le caractère. L’Ars nova, notamment chez Philippe de Vitry, l’un de ses théoriciens les plus éminents, perfectionne la démarche rythmique de la teneur et de la contre-teneur en leur imposant un programme préétabli et en les dénaturant plus encore qu’au siècle précédent grâce au système dit « isorythmique ». La mélodie, qui prend le nom de color, est découpée en un certain nombre de sections rythmiques (talea) séparées par une figure de silence. Comme la fin de la color ne coïncide pas avec la fin d’une talea, la color est donc reprise à l’intérieur même de la talea dans laquelle elle se termine. L’œuvre fort complexe et longue qu’est devenu le motet ne s’achève donc que quand la fin d’une color et celle d’une talea coïncident dans chacune des voix. Ce jeu mathématique subtil, séduisant pour l’esprit, n’a pas provoqué que des chefs-d’œuvre. Nombreux sont les motets isorythmiques du xive s. où l’inspiration semble dominée par la technique. Ceux de Philippe de Vitry, fort savants, ne sont pas de la qualité de ceux de son illustre contemporain Guillaume* de Machaut. Quant aux motets de leurs successeurs de la fin du siècle, ils sont d’une telle complexité qu’ils en perdent toute spontanéité et que le sentiment musical n’y trouve plus son compte.